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national sur la question de paix ou de guerre, on se fût opposé à la conclusion du traité secret entre l’Italie et la Prusse, et la guerre n’aurait point eu lieu.

La démonstration de la faute primitive commise est sortie avec une terrible soudaineté de la journée de Kœniggraëtz. Toutes les surprises provoquées par cette bataille accusent les erreurs de la politique qui l’a rendue possible. Les surprises ont été militaires et politiques. Dans l’ordre des choses militaires, on a été surpris par l’étendue et la précision de la préparation prussienne, par la supériorité de l’armement prussien, par la force effective de l’organisation prussienne : on a eu la révélation d’une puissance militaire qu’on n’avait jamais soupçonnée, et qui, au moment où elle se faisait connaître, acquérait un accroissement irrésistible. La surprise politique n’a pas été moins étourdissante que la surprise militaire. L’union de l’Allemagne, cette œuvre dont on eût contemplé les progrès avec une curiosité sympathique et une entière sécurité, si elle eût été produite par l’assentiment rationnel et pacifique des populations germaniques, s’est accomplie d’un seul coup, par la force, en prenant le caractère, menaçant d’une concentration de puissance militaire Inspirée par les rivalités et les vieilles hostilités internationales. De pareilles surprises se précipitant à la fois étaient bien capables de causer les angoisses avouées par M. Rouher. En abandonnant les affaires européennes aux fatalités et à la violence impérieuse des événemens de guerre, on s’était réservé un rôle d’observation pouvant tourner à l’action, suivant les circonstances, et qu’on avait décoré d’avance du nom de neutralité attentive. Cette neutralité, qui n’avait rien prévu ni rien préparé, a été condamnée à devenir une politique d’effacement. Nous nous sommes trouvés, au lendemain de Kœniggraëtz, sans « plan politique solidement élaboré, sans force militaire capable d’exercer une prépondérance immédiate. On n’a jamais vu dans notre histoire une si subite éclipse d’influence. Nous n’avions préparé nos moyens d’action ni par la diplomatie, ni, dans le cas où il faudrait y recourir, par une organisation militaire disponible. Par d’habiles négociations antérieures, on eût pu se mettre en état de prêter un secours efficace aux tendances allemandes capables de se défendre contre l’absorption prussienne ; par la réunion préalable d’une force militaire disponible, on eût pu prendre un rôle plus décisif dans le règlement des questions que les péripéties de la guerre devaient faire naître. L’impétuosité et la grandeur des événemens nous ont pris au dépourvu et nous ont condamnés à la neutralité passive. Quel enseignement ! Quelle douleur et quel danger que l’effacement d’un pays tel que le nôtre ! Il est des momens tragiques dans le cours des grandes affaires humaines qui décident pour des siècles les destinées historiques des peuples. Quel dommage irréparable, si après avoir prévu des momens pareils, après les avoir en quelque sorte appelés, on commet l’imprudence de n’être point prêt quand la fortune les amène !

Nous ne comprenons point que tout le monde ne soit pas d’accord en