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augmentant jusqu’à ce que l’on soit parvenu (chose qui deviendra de plus en plus difficile) à faire adopter une loi qui satisfasse à la fois les ouvriers et le pays. Si la loi que M. Disraeli défend chaque soir à la chambre des communes est adoptée, il faudra voir quel sera le résultat des élections à la suite de cet accroissement prodigieux dans le nombre des électeurs, accroissement que l’autre jour lord Shaftesbury, se disant bien informé, portait à quatre cent mille pour Londres seulement. Jusqu’aux prochaines élections, tout reste en suspens.

L’orage gronde, et bien qu’on puisse espérer de le voir conjuré aujourd’hui, ce serait peut-être trop se flatter que de croire à une solution permanente. Marcher au suffrage universel sans sacrifier les intérêts de la liberté, c’est un problème qui jusqu’à présent semble avoir résisté à tous les efforts. Il est digne de l’Angleterre d’en chercher la solution, et c’est vraiment un spectacle imposant que de voir ce grand pays, si calme au milieu de tels événemens, se livrer avec tant d’ardeur au travail, que malgré d’immenses désastres financiers, malgré la guerre d’Allemagne, les exportations de l’année dernière ont dépassé de 600 millions de francs celles de l’année précédente. Tout en protégeant les intérêts de ce prodigieux commerce, les flottes de l’Angleterre font respecter sa puissance sur tous les points du globe pendant que son gouvernement suit en silence, mais avec plus d’attention qu’on ne croit, la marche des affaires sur le continent. Ce qu’on doit admirer le plus, c’est cette foi robuste dans les institutions du pays, foi qui est le fruit d’une longue pratique de la liberté. Au milieu de secousses en apparence si violentes qui auraient fait partout jeter des cris d’alarme et réclamer des lois d’exception, personne, pas même le plus arriéré des conservateurs, n’a eu l’idée non-seulement de demander des lois spéciales pour la circonstance, mais même de proposer que les lois déjà existantes, fussent appliquées avec rigueur. C’est là la liberté, disent les Anglais, c’est à la liberté de s’arranger comme elle pourra. De loin on peut croire qu’on ne se défend pas assez et que ceux qu’on attaque imitent, comme dit le proverbe, la politique des autruches qui cachent leur tête derrière un palmier pour ne pas voir le chasseur. Quand on connaît l’Angleterre, ses institutions, la trempe du caractère anglo-saxon et les ressources admirables de la liberté on est plutôt porté à songer à ces Romains qui faisaient partir des légions pour l’Espagne le jour où Annibal victorieux campait en vue du Capitole.


M. COLLIN.