Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 69.djvu/100

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

frère en lui offrant la couronne de Lombardie. Son principal motif était le désir qu’il avait d’écarter Joseph de la ligne de succession et d’y appeler la branche de Louis et par conséquent le fils de ce dernier, dessein qu’il avait, comme nous l’avons déjà expliqué, formé depuis longtemps et qu’il n’abandonna qu’à la mort de cet enfant. Cet acte de renonciation qu’on exigeait de lui faisait à Joseph l’effet d’une sorte de lâcheté personnelle, et malgré le conseil de son entourage il n’y voulut jamais prêter les mains.

Napoléon avait alors imaginé de donner la couronne d’Italie au fils aîné du prince Louis, en chargeant son père de gouverner le pays jusqu’à ce que l’enfant, qui resterait à Paris, eût atteint sa majorité. Le prince Louis rejeta de très haut cette proposition. « Tant que j’existerai, dit-il à l’empereur, je ne consentirai jamais ni à l’adoption de mon fils avant qu’il ait atteint l’âge de sa majorité, ni à aucune disposition qui, en le plaçant à mon préjudice sur le trône de Lombardie, donnerait par une faveur aussi marquée une nouvelle vie aux bruits répandus dans le temps au sujet de cet enfant[1]. »

Ce ne fut qu’après ce dernier refus, dont les motifs excitèrent au plus haut degré la colère de l’empereur[2], qu’il s’était décidé à donner au prince Eugène Beauharnais la vice-royauté d’Italie. Ce choix le rejetait un peu plus qu’il n’aurait souhaité du côté de la famille de sa femme, et justement parce qu’il était alors presque ouvertement brouillé avec trois de ses frères, Napoléon attachait le plus grand prix à rester au moins le maître des futures destinées du plus jeune d’entre eux, Jérôme Bonaparte, qui, n’étant encore rien par lui-même, semblait ne pouvoir lui opposer de résistance. Il se trouvait toutefois que, par le plus malencontreux hasard, ce dernier frère, sur qui Napoléon avait reporté son bon vouloir, venait de se laisser aller à une démarche qui bouleversait entièrement les desseins de l’empereur. Embarqué comme simple officier à bord de l’escadre de l’amiral Willaumez, Jérôme Bonaparte avait contracté mariage pendant son séjour à Baltimore avec Mlle Patterson, la fille de l’un des citoyens les plus considérés et les plus riches des États-Unis. A l’époque de cette union (8 décembre 1803), Napoléon n’était encore que premier consul, et le jeune officier de marine ne relevait en aucune façon des dispositions du sénatus-consulte qui avait réglé plus tard les conditions civiles de la nouvelle famille impériale. En elle-même, cette alliance n’avait d’ailleurs rien de disproportionné ; mais, dans son empressement à la conclure, Jérôme, âgé seulement de dix-neuf ans, avait,

  1. Mémoires du comte Miot de Melito, t. Ier, p. 297.
  2. « Il saisit le prince Louis par le milieu du corps et le jeta avec la plus grande violence hors de son appartement. » Ibid., t. Ier, p. 297.