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méthode critique élevaient des doutes sur l’authenticité du livre de Job, du Cantique des Cantiques, des prophéties d’Isaïe, etc. À ce procédé scientifique si connu de l’Allemagne et de la France se joignait une dialectique plus conforme au génie de la nation anglaise. Théologiens, ces clergymen faisaient de la théologie. « Qu’est-ce que la justification par la foi ? disaient-ils. L’application à l’homme des mérites de Christ ? Non, la justification, c’est la paix donnée à l’homme de bien qui marche dans la voie du Seigneur… Tous, quelles que soient notre foi ou nos œuvres, nous devons être justifiés, car Dieu peut châtier son enfant infidèle, il ne le maudit pas. L’éternité des peines est donc un blasphème contre sa clémence, et le jour du jugement, loin d’être pour beaucoup le jour de damnation, doit être pour tous le jour du repos dans le cœur du père universel. »

Ces doctrines, qui rappelaient à l’esprit l’hérésie d’Origène, portaient la signature de sept pasteurs presque tous membres de l’église. Indiquaient-elles chez leurs auteurs une secrète tendance vers le rationalisme et la libre pensée ? Étaient-elles au contraire l’expression des croyances de cette intéressante église que l’Angleterre voit se constituer sous le nom de broad-church ? Question délicate, et qu’il n’est pas de notre sujet d’examiner ; mais ce qui est certain, c’est que, au nom de la liberté d’examen, droit imprescriptible de la réforme, l’anglicanisme eût dû se taire : il n’en fut rien cependant, et l’on put alors s’apercevoir que l’anglo-catholicisme s’était insensiblement rallié presque tout le haut clergé. Un cri d’universelle réprobation s’éleva donc dans l’établissement[1]. Les évêques condamnèrent les livres et censurèrent les personnes ; mais aucune peine afflictive ne pouvait être prononcée sans l’assentiment de l’état : à l’état il fallut avoir recours cette fois encore. Sur l’initiative de l’évêque de Salisbury, l’episcopal bench traduisit devant la cour des Arches MM. Williams et Wilson. Trente-deux charges d’hérésie pesaient sur eux ; « pauvres boucs émissaires, disait ironiquement un journal, ils portent sur leurs têtes les péchés d’Israël. »

Pour la seconde fois depuis dix ans, l’état avait ainsi à se prononcer en matière de dogme ; — pour la seconde fois, au sens des évêques, l’état se montra hérétique. Réduisant à cinq les trente-deux charges primordiales, la cour des Arches condamna les essayistes à une année de suspension. C’était peu après tant de bruit ; ceux-ci cependant en appelèrent au conseil privé de la reine. Tout le pays eut alors les yeux tournés vers cette cour suprême, d’où

  1. Quarterly Review (1861).