La révolution approche. Figaro l’attend comme sa délivrance. Le sentiment qui l’anime envers la noblesse n’est plus cette haine envieuse et mal raisonnée que la contrainte et l’horreur du joug éveillent dans les âmes ignorantes. Figaro est un philosophe qui a lu dans Rousseau le discours sur l’inégalité des conditions. Il maudit une société fondée sur le privilège, qui fait un partage inégal des biens de ce monde, prodiguant à quelques élus la richesse, le rang, les plaisirs, et ne laissant aux autres que le choix entre servir ou mourir de faim. Il se demande pourquoi il ne serait pas l’égal de gens qui ne le valent ni pour l’esprit ni pour la probité. Qu’ont-ils fait pour être ses maîtres ? Ils se sont donné la peine de naître. Encore quelques années, et Sieyès, réduisant en une formule fameuse cette épigramme du valet raisonneur, proclamera le grand principe de l’égalité des conditions.
Le domestique aujourd’hui est une espèce de fonctionnaire. Il en a le sérieux et l’air important. C’est un automate chargé de mentir à la porte, de stationner dans l’antichambre, de servir des lettres sur un plateau ; mais cet automate a des rentes sur l’état, joue quelquefois à la Bourse, et rêve d’être un jour le maire de son village.
Nous bornerons ici cette étude, laissant au lecteur la tache ou plutôt le plaisir de la compléter. Qu’il prenne dans Molière les différentes variétés des types que nous venons d’esquisser, et qu’il voie ce qu’ils étaient au XVIIe siècle et ce qu’ils sont devenus aujourd’hui. Cette simple comparaison lui en dira plus que bien des livres d’histoire sur le caractère des deux sociétés ; mais pour que cette étude soit fructueuse il faut qu’elle soit faite sans passion. Malheureusement la plupart, de nos critiques sont plutôt des censeurs ou des panégyristes que des historiens. Ils ne fouillent dans le passé que pour y trouver la condamnation ou l’apologie du présent, et ressemblent à des astronomes qui monteraient sur leur observatoire pour regarder ce qui se passe chez le voisin.
D. ORDINAIRE.