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cahier des charges imposé, les omnibus ne sont pas libres de choisir leur itinéraire ; au lieu d’avoir, comme à Londres, la faculté d’augmenter leur prix à volonté, de se grouper dans les zones du centre et de négliger les faubourgs isolés, ils sont forcés d’avoir un tarif invariablement uniforme et de traverser des quartiers pauvres, souvent peu productifs, où leur présence est plus utile au public qu’à eux-mêmes. Cette mesure est irréprochable, car elle produit de bons résultats pour tout le monde. Les omnibus compensent leurs pertes particulières par leurs bénéfices généraux, et tous les habitans de Paris peuvent les prendre auprès de leur demeure. Les deux lignes les plus suivies sont celles de la Madeleine à la Bastille et de l’Odéon à Batignolles ; les deux qu’on fréquente le moins sont celle de Charonne à la place d’Italie et de Passy au Palais-Royal[1]. Selon la saison, les omnibus sont plus ou moins occupés ; cependant la différence n’est pas considérable. Si le mois de février, qui contient moins de jours que les autres, est invariablement le moins chargé, les mois d’été, juin et juillet, subissent une augmentation qui s’explique facilement par la beauté du temps et la longueur des journées. La semaine elle-même subit des variations singulières et qui prouvent combien les vieilles superstitions sont enracinées chez les peuples catholiques. Si le dimanche est le jour du repos, du plaisir et de la promenade, le vendredi semble être le jour de la retraite. Les omnibus ne chôment certes pas, mais leur recette baisse d’une façon notable. Le vendredi est néfaste, et bien des personnes n’oseraient rien entreprendre sous son influence. C’était autrefois le jour heureux par excellence, le jour fécond, le jour consacré à Vénus ; dans les pratiques de la kabbale, il représente encore le commencement de la période ascendante ; les musulmans l’ont adopté ; le catholicisme l’a maudit, ou peu s’en faut, car c’est lui qui a vu le supplice du Golgotha ; il y a bien des pays où l’on jure encore par le péché du vendredi ! Les chevaux d’omnibus ne s’en plaignent pas, car leur charge est moins lourde[2].

Les cochers et les conducteurs d’omnibus sont, comme les cochers de fiacres, soumis à la double autorité de leur administration et de la préfecture de police ; les peines disciplinaires sont les

  1. En 1868, la ligne de la Madeleine à la Bastille a encaissé : 1,741,076 fr. 80 cent., celle de l’Odéon à BatignoHes, 1,047,230 fr. 27 cent. En revanche, la ligne de Charonne à la barrière d’Italie a produit 344,262 fr. 24 cent., et celle de Passy au Palais-Royal 368,915 fr. 43 cent. La moyenne de la recette brute des trente et une lignes a été de 641,561 fr. 77 centimes. Chaque ligne a transporté en moyenne 447 voyageurs par jour.
  2. En prenant le nombre total des voyageurs transportés pendant le mois de Juillet 1866, on trouve pour le vendredi 202,902, et en moyenne pour chacun des six autres jours 317,065 : c’est une différence nette de 24,163 personnes.