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que l’embouchure et qui cachent aux regards de l’homme leur source mystérieuse ; en Arabie, on voit naître les rivières ; on les voit courir à travers les vallées, puis elles disparaissent tout à coup, séchées sur place ou noyées dans le sable ; on ne sait point où ni comment elles finissent.

Pour le géographe comme pour le géologue, l’Arabie est encore à l’état de problème. La portion de sol cultivable, irrégulièrement encadrée dans le désert, occuperait, d’après l’estimation de M. Palgrave, les trois quarts de la surface, ce qui est beaucoup plus qu’on ne le suppose généralement, et nous ne sommes pas moins étonné d’apprendre que cette terre si décriée, dont on ne pouvait jusqu’ici observer que les arides contours, présente à l’intérieur les plus riches tableaux de la nature tropicale. Voici par exemple un rapide croquis de la province du Kasim : « Devant nous, dit M. Palgrave, se déployait une belle campagne, couverte jusqu’à l’horizon le plus reculé de villes et de villages, de tours, de bosquets, de cultures, dont l’aspect annonce la vie, l’abondance et le travail. La largeur moyenne de ce district populeux est d’environ soixante milles, sa longueur au moins du double. Il est situé à deux cents pieds au-dessous des plateaux voisins, qui en cet endroit se terminent brusquement et laissent la plaine inférieure se prolonger sans interruption jusqu’à la chaîne transversale du Toweyk. Ces montagnes forment la frontière méridionale du Kasim, qu’elles séparent du Nedjed proprement dit ; mais la province s’étend librement à l’ouest du côté de Médine. Cinquante ou soixante gros villages, quatre ou cinq grandes villes servent de centre au commerce et à l’agriculture du pays ; le sol fertile, partout couvert de hameaux, de puits, de jardins, est traversé par un réseau de routes qui rayonnent dans toutes les directions. De distance en distance s’élèvent de hautes tours de garde, bâties pour donner aux habitans la facilité d’apercevoir de loin la venue de l’ennemi, ce qui autrement leur serait impossible sur un sol aussi plat. Pendant plusieurs siècles, le Kasim a été, dans l’Arabie centrale, le foyer de la richesse et de la civilisation… » La relation de M. Palgrave contient nombre de passages où éclate le même sentiment d’admiration et de surprise, sentiment très vif qu’aurait bien pu cependant refroidir la préoccupation continuelle du péril auquel demeurait exposé le voyageur en visitant cette terre prohibée, car si la nature était devenue clémente et hospitalière, les habitans n’en conservaient pas moins l’instinct jaloux qui les anime contre l’Européen, et M. Palgrave ne devait pas se départir un seul instant du système de prudence qui lui avait permis de pénétrer en Arabie. Plus il avançait vers le centre, pi lis il avait à redoubler de précautions pour que sa nationalité restât tout à fait ignorée. Jouer sans relâche