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très rare et très prisé en Arabie, furent offertes discrètement aux principaux dignitaires, qui ne surent point résister à la tentation, et qui firent modifier le premier arrêt de Feysul. M. Palgrave, éclairé sur l’intégrité des ministres wahabites, fut autorisé à exercer la médecine à Riad ; il avait sa patente, mais tous les regards de l’espionnage demeuraient braques sur lui.

Les consultations et les drogues du docteur étranger obtinrent à Riad le même succès qu’à Hayel. La renommée ne tarda pas à proclamer par toute la ville les heureuses cures qui s’opéraient dans la modeste maison où M. Palgrave avait établi son officine, et bientôt riches et pauvres affluèrent. Souvent même le médecin daignait se déranger et faire des visites à domicile, visites peu rétribuées, même chez les gens riches, car l’Arabe est décidément très avare et ne se sépare pas volontiers de son argent ; mais ce n’était point pour recueillir de gros honoraires que M. Palgrave s’était voué à la guérison des malades de Riad : s’il réclamait, s’il insistait pour être payé, c’était afin d’avoir tout à fait l’air d’un médecin et d’un médecin arabe ; autrement on se fût défié de sa générosité, et il eût justifié les soupçons qu’avait éveillés son apparition très inattendue au milieu des états du Nedjed. Il mettait du reste à profit la ladrerie de ses cliens, qui, pour avoir moins à payer, se montraient plus aimables, plus communicatifs, chantaient ses louanges, lui conciliaient l’estime publique et lui procuraient à la fois de belles relations et les moyens de pénétrer plus avant dans les particularités, de ce monde wahabite qu’il était venu étudier. Au bout de quelques jours, M. Palgrave avait pour cliens et pour amis le grand trésorier du roi, le chapelain, le cadi, arrière-petit-fils du prophète Wahab ; à cette liste honorable ne tarda pas à se joindre le premier ministre Mahboud ; enfin le fils aîné du roi, le fier Abdallah, voulut le voir et le manda au palais. Évidemment la médecine n’était qu’un prétexte pour les entretiens fréquens et prolongés auxquels était convié le docteur, et qu’il provoquait lui-même en abordant, selon l’occasion et suivant les personnages, les sujets les plus délicats en matière de doctrines et de pratiques wahabites. Quant au roi Feysul, il ne l’aperçut qu’une fois dans une grande revue de troupes commandées par Saoud, son second fils. Saoud était suivi d’une escorte de 200 cavaliers ; le reste de ses hommes, au nombre de deux mille, était monté sur des chameaux. « Le vieux roi Feysul, aveugle, décrépit, obèse, avait cependant un air imposant avec sa longue barbe blanche, son large front, sont attitude soucieuse, son costume d’une austère simplicité ; l’épée ornée d’une garde d’or qui pendait à sa ceinture était le seul luxe qu’il se fût permis. Près de lui se tenaient les ministres, les officiers du palais, une foule de nobles et riches citoyens.