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de prime saut à la vie, à l’action. Cette première scène de Roméo et Juliette n’a trouvé son pendant au théâtre que dans l’introduction du Don Juan de Mozart. Point de paroles vaines, de tirade ; le drame se pose de lui-même : d’abord les serviteurs des deux maisons rivales engagent la querelle, insensiblement le flot de haine s’enfle, grossit, devient torrent ; c’étaient des valets tout à l’heure, voici maintenant les cliens, les amis, les chefs des deux familles accourant l’épée à la main, et finalement le duc souverain. Je défie qu’on imagine une entrée en matière plus grandiose. Sur un pareil motif, sur cette large et forte assise, l’homme qui a écrit le premier acte de l’Africaine aurait établi carrément le péristyle de son œuvre. M. Gounod, très circonspect, l’écarte et lève la toile sur le bal. Sa pièce s’ouvre comme un opéra italien, comme Rigoletto.

Cueillez les roses
Pour nous écloses !


Après un air du père ; Capulet, air qui ne serait pas déplacé dans la bouche du signor Magnifico de la Cenerentola, Mercutio dit sa chanson de la reine Mah ; J’écoute cet orchestre charmant, délicat, qui s’épuise en mille gentillesses descriptives, et je pense au scherzo de la symphonie de M. Berlioz. Enfin Juliette se montre, et tout de suite, un motif de valse, comme dans Mireille. Ne perdons pas de temps, s’il vous plaît. Attendrons-nous la scène des tombeaux pour tirer nos feux d’artifice ? Il faut bien s’égayer un peu ; nous n’aurons pas toujours quinze ans.

Quinze ans, ô Roméo ! l’âge de Juliette !


A dit Alfred de Musset pressentant Mme Carvalho dans ce rôle. La cantatrice enlève cette valse avec une bravoure extraordinaire. Pour la légèreté, la sveltesse de la désinvolture, ce n’est peut-être pas tout à fait l’alouette ; mais pour la voix c’est à coup sûr le rossignol :

It was the nightingale, and not the lark.


N’importe, je ne puis me faire à de pareils anachronismes, et ne saurais voir sans tristesse Juliette ainsi déguisée en Elvire des Puritains. A la place de ce trois-temps, donnez à chanter à Mme Carvalho la polonaise d’entrée, Son vergin vezzosa, et ce sera, pour la couleur locale et le caractère dramatique, absolument la même chose, plus la mélodie de Bellini, laquelle a du moins l’avantage de ne pas être une redite du Bacio.

Il est de mode aujourd’hui d’étaler à tout propos les principes de M. Richard Wagner. Pas un musicien, du plus obscur au plus renommé, qui ne s’imagine devoir à sa propre considération de