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LA
NOUVELLE LITTERATURE
FRANCAISE

LES ROMANS DE M. VICTOR CHERBULIEZ.

M. Victor Cherbuliez, dans ceux de ses écrits qui se rapportent à la pure esthétique, aime à placer ses idées sous le patronage d’un nom illustre. Autour de Phidias, il a groupé toutes ses pensées sur l’art et l’éducation de la Grèce et sur les conditions nécessaires de la beauté harmonieuse ; autour du Tasse, toutes ses pensées sur Rome, l’Italie et la renaissance du XVIe siècle. Je veux suivre son exemple, et en tête des pages que je vais lui consacrer il me plaît de placer le grand nom de Léonard de Vinci.

De tous les grands artistes de la renaissance , nul n’a exprimé d’une manière plus saisissante que Léonard de Vinci la noble métamorphose que cette révolution féconde fit subir à l’âme humaine et la condition antithétique qu’elle lui imposa. Si vous ne l’avez observé par vous-même, la critique moderne, se sera chargée de vous faire remarquer l’énigme qui se laisse lire sans se laisser deviner sur tous les visages des figures du maître. Cette énigme a un double caractère ; elle est douloureuse, elle est souriante, et de ce contraste il se dégage une expression bizarrement pathétique, formée également de joie et de souffrance, de bonheur et de tristesse. Toute la candeur de l’innocence est sur ces visages, toute la science amère de l’expérience y est aussi. On croirait à des êtres naïfs, si une ironie profonde ne se jouait dans leur sourire ; on croirait à des êtres corrompus, si tant de bonté ne se mêlait à la lumière de