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(c’est ainsi qu’il faut nommer en effet ces accidents en apparence fâcheux dont le résultat naturel est de créer une réaction qui accroît la vigueur des facultés) de suivre les cours d’un professeur de philosophie qui mettait trop de zèle à vouloir faire de ses élèves des disciples de Reid, Blessé de l’indiscrète insistance avec laquelle on essayait de lui imposer une doctrine qui n’explique rien, et dont la méthode, pour employer le mot très aristocratique, mais très légitime de Voltaire, vous réduit juste au degré de lumière de votre tailleur ou de votre blanchisseuse, M. Cherbuliez fut amené par réaction à s’enquérir profondément de la vraie constitution de l’esprit humain et de ces méthodes innées, organiques, nécessaires qui sont pour l’intelligence ce que les membres et les sens sont pour le corps, et pendant deux années entières il étudia les deux mémorables descriptions qui en ont été données à un si long intervalle l’une de l’autre par Aristote et par Kant. Le premier lui révéla l’engrenage et le mécanisme de la pensée, le second les limites fatales et infranchissables, la nature nécessairement humaine de cette pensée ; c’est ainsi que d’un enseignement qui avait pour but de mater et d’enchaîner la liberté de l’esprit naquit pour le jeune étudiant une nouvelle occasion d’affranchissement.

Que d’études, que de travaux ; quelle dépense d’ardeur intellectuelle en tout sens entre sa sortie de l’université et ses débuts dans la vie littéraire ! Nous trouvons le jeune écrivain d’abord à Paris, où il se partage entre trois passions bien différentes, l’enseignement d’Eugène Burnouf et le sanscrit, le musée du Louvre et la peinture et enfin le théâtre, puis à Bonn, où il fût initié à la philosophie de Hegel, et où il fit un assez long séjour, qui semble lui avoir laissé des souvenirs que nous comprenons sans peine ; Bonn étant une des petites villes du monde où il serait le plus doux de vivre et de mourir. Quel riant repos on peut goûter en face de ce Rhin, à la lenteur paternelle, et majestueuse, et de ce paysage à la fois large et familier, digne de Virgile et de Poussin, qui se déroule le long de ses rives ! Avec quelle ardeur sans fièvre on doit étudiée dans cette gentille université, si nette, si bien rangée, si coquettement enveloppée de robes de verdure et de ceintures de tilleuls ! Et comme on doit bien dormir dans ce petit cimetière, le plus gai que je connaisse, — un cimetière qui vous invite à vous y reposer avec la vivacité gracieuse d’un enfant qui tend les bras vers sa mère! Etudier la philosophie à Bonn pendant le jour, contempler les jeux du crépuscule derrière les riantes collines de son horizon après le travail, et le soir écouter les quatuors de Beethoven, le génie du lieu, en compagnie de dilettanticandides, ce doit être là le bonheur, ou il n’y en a pas en ce monde. Ce séjour, à Bonn fut en plus d’un