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équilibre militaire approximatif entre la France et la Prusse, les choses ne se passeront pas de la même façon dans les deux pays. La Prusse n’a qu’à étendre son organisation sur les provinces qu’elle s’est annexées, sur les petits états de la confédération du nord, et même sur les états du sud qui se sont placés sous son hégémonie militaire. Ce n’est point au moment où elle est obligée de mener à fin ce travail qu’il peut être question pour elle d’un désarmement sérieux. En France, nous sommes aussi et plus réellement encore dans une phase de formation. Notre préparation était dangereusement insuffisante ; l’effectif de nos régimens avait été considérablement réduit ; notre artillerie et notre cavalerie manquaient de chevaux ; l’armement de notre infanterie était suranné. Rien que pour assurer notre sécurité défensive, nous avions, il nous reste encore beaucoup à faire. Nous sommes en outre à la veille d’un développement et d’une réforme de nos institutions militaires. Les questions d’armée seront pendant quelque temps pour la France les plus pressantes et les plus pratiques. Il ne faut donc point nous demander aujourd’hui, à nous non plus, de mettre les préoccupations et les intérêts militaires à l’écart. En tout cas, ce travail, quoiqu’il ait pour cause déclarée en France et en Allemagne rétablissement de l’équilibre des forces, ne peut susciter d’ombrages entre les deux pays. Mieux préparée que nous, l’Allemagne aura peut-être plutôt fini ; que nous cette rude besogne ; plus en retard, nous aurons peut-être plus longtemps l’air en France de nous occuper d’armemens. Nous le répétons, il ne s’agit là que d’une opération d’équilibre de forces qui, tout en agitant les idées guerrières, doit préparer à la paix sa plus énergique sauvegarde.

Il viendra cependant un jour où, l’œuvre militaire étant achevée des deux côtés, il faudra que les deux nations s’interrogent sur l’usage qu’elles auront à faire de cet appareil guerrier qui leur aura coûté tant de sacrifices. Nous ne pensons point que l’on s’adresse cette question des deux côtés du Rhin avant que l’on se sente assez fort pour n’avoir rien à craindre du concurrent. Quand la conviction de la force suffisante, aura pénétré les deux peuples, il faudra bien se replier sur soi-même et rechercher la cause réelle pour laquelle on s’est des deux parts imposé tant de sacrifices. Cette cause est unique et simple, facile à découvrir. L’Allemagne a voulu être puissante par les armes, et s’est faite une par représailles des guerres de conquête qu’elle a eu à subir dans le passé de la part de la France ; la France ne peut point se résigner au péril d’une infériorité d’organisation et de préparation militaires parce qu’elle ne veut point être exposée à une de ces surprises qui accablent les états où l’on a l’illusion et non la réalité de la force. Mais pourquoi, grand Dieu ! de telles surprises sont-elles encore possibles ? pourquoi les craintes qu’elles inspirent sont-elles assez sérieuses pour faire dévier des voies naturelles de notre siècle les peuples les plus civilisés ? Hélas ! pour une seule raison : c’est parce que les peuples ne sont point encore arrivés à une civilisation assez avancée pour être