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cheval. Ils avaient la voix dure, le visage farouche, la barbe et les cheveux longs. Ils portaient un arc à la main, un couteau à la ceinture et s’en servaient souvent. Rien de plus rude que ce climat. Le poète nous dit que le vent y souffle avec tant de violence qu’il renverse des murailles. L’hiver y est long et rigoureux. La neige, qu’un Italien connaît à peine, couvre la terre pendant des mois entiers. On voit alors les rivières et la mer prises par les glaces et les chariots traverser les fleuves. Le vin se gèle dans les tonneaux ; pour le distribuer aux convives, il faut le couper à coups de hache. Les habitans ne sortent plus que couverts de peaux de bêtes qui les cachent tout entiers. C’est à peine si l’on aperçoit leur visage et leur barbe hérissée de glaçons. « Tel est le séjour du poète des amours légers ! voilà les gens qu’il est forcé de voir et d’entendre ! » Ceux qui habitent au-delà du Danube sont bien plus redoutables encore. Quels voisins que ces Sarmates, que ces Besses, que ces Gètes qui ne craignent personne et font peur à tout le monde ! On se plaît à dire à Rome que l’univers est soumis, que tous les peuples tremblent devant les légions. Ovide, depuis qu’il est exilé, sait bien ce qu’il faut penser de cette illusion de la vanité nationale. Il a près de lui des barbares qui n’obéissent pas au préteur et se moquent du légat. Le Danube est contre eux une barrière plus efficace que la crainte des Romains ; mais, quand le Danube est glacé, rien ne les arrête plus : ils se précipitent par bandes isolées, enlevant les hommes et les troupeaux qu’ils peuvent saisir. « Leurs chevaux sont rapides comme l’oiseau », leurs armes inévitables. Ils lancent des flèches empoisonnées qui causent le frisson à Ovide toutes les fois qu’il y pense, et il y pense souvent. Le seul moyen de les éviter, c’est de rester chez soi et de se tenir enfermé tant que l’hiver dure. Quelquefois ce ne sont plus des cavaliers isolés, ce sont des populations entières qui passent le fleuve et viennent assiéger la ville. Il faut alors prendre les armes, courir aux murailles. Le malheureux poète, qui a refusé d’être soldat quand il était jeune, est obligé de se battre dans sa vieillesse. L’attaque est souvent sérieuse, et les flèches des barbares, ces fameuses flèches empoisonnées, tombent jusqu’au milieu des rues. Un jour Ovide en a ramassé une pour l’envoyer à ses amis de Rome : il n’avait pas d’autre présent à leur faire, c’était le seul produit du pays des Gètes.

Ces dangers qu’il courait à Tomi expliquent les efforts désespérés qu’il a faits pour en sortir. Il s’adresse successivement à tous ses amis, il les fatigue de ses prières et les supplie d’obtenir de l’homme céleste qu’il a outragé non pas sa grâce entière, il n’ose pas y compter, mais un adoucissement à son exil. Il leur écrit d’a-