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grands théoriciens, elle avait ses humbles ouvriers, mais elle devait peu de chose à leurs efforts : Cagniard de la Tour, Savart lui-même, n’étaient en quelque sorte que d’habiles mécaniciens.

Le plus étrange, c’est qu’aucun trait d’union n’avait été jeté entre l’acoustique et la musique : la science restait stérile, l’art n’obéissait qu’aux impulsions d’une esthétique instinctive. Quelques grands esprits, Pythagore, Kepler, Euler, Rameau, d’Alembert, avaient sans doute deviné entre ces choses une secrète parenté ; mais ces vagues intuitions n’avaient jamais abouti à des lois. Les plus savans traités d’harmonie ne sont que la collection de règles empiriques consacrées par l’expérience des siècles.

Aujourd’hui tous les phénomènes jusque-là décousus viennent prendre place dans une admirable synthèse. Le physicien de Heidelberg n’est point un de ces expérimentateurs qui, errant à tâtons dans le domaine des faits, viennent par hasard trébucher sur une vérité inconnue : armé du flambeau de la haute analyse mathématique, il marche d’un pas assuré ; il n’attend pas, il évoque les phénomènes ; d’un autre côté, pénétré des principes féconds du dynamisme moderne, il ne voit dans le monde que force et mouvement, et les lois de la mécanique rationnelle le guident dans l’étude de toutes les manifestations de la matière.

Considérant le son comme un mode particulier des mouvemens moléculaires, il a su tirer de l’étude de ces mouvemens toutes les conséquences que les mathématiques y avaient laissées pour ainsi dire à l’état embryonnaire, et il a imaginé des instrumens, des appareils où ces conséquences, visibles pour l’esprit, le deviennent pour les sens. Plus d’à peu près, plus d’approximations, plus d’inductions éparses ; tout se tient, tout s’enchaîne en ce vaste système, et nous sommes conduits des phénomènes les plus élémentaires de la vibration des corps sonores aux lois hier encore profondément mystérieuses de l’harmonie et de la combinaison des sons. Nous découvrons le secret naguère impénétrable du timbre, cette étrange propriété du son ; nous comprenons en quoi diffèrent les mêmes notes sur des instrumens divers. Rameau avait dès longtemps deviné que les sons musicaux sont formés de plusieurs sons simples, comme la lumière est composée de rayons divers ; mais M. Helmholtz a trouvé le moyen de décomposer le son le plus complexe, et de discerner ainsi, dans le concert le plus bruyant, les notes simples les plus fugaces : découverte aussi étrange que féconde, puisque dans la nature il n’y a point de notes simples et que ses bruits sont tous des fusions, des concerts, des accords. En expliquant le timbre, M. Helmholtz a montré du même coup ce qui distingue et caractérise les voyelles. Poussant sa découverte à bout, il en a fait sortir