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Lorsqu’on se rappelle, la Vénus ceignant sa ceinture pour se rendre au jugement de Pâris que M. Emile Lévy avait envoyée au Salon de 1863. et qu’on voit le tableau qu’il expose aujourd’hui, on ne peut qu’applaudir aux progrès accomplis par l’artiste. Il faut que ses efforts aient été très consciencieux, sa volonté de bien faire considérable, pour qu’en si peu de temps il soit parvenu à modifier sa manière, dédaigner le poncif de la vieille école, rendre son dessin correct et obtenir un coloris meilleur. Nous tromperions M. Lévy en lui disant qu’il est un maître, mais nous pouvons affirmer qu’il le deviendra, s’il continue avec courage à se fortifier par le travail et par l’étude. Souvent nous avons été sévère pour lui, et, quoique ses progrès aient été constans, on était en droit d’exiger plus, car on sentait un effort qui n’aboutissait pas. Il y a en toute chose un certain point qu’il est facile d’atteindre, où beaucoup sont parvenus, mais qu’il est souvent bien malaisé de dépasser, et au-delà duquel on trouve une force nouvelle et le juste prix de la persistance. Ce point, il me semble que M. Lévy vient cette année même de le laisser loin derrière lui. Il serait imprudent de s’arrêter maintenant ; l’horizon est ouvert avec les larges champs qu’il faut parcourir encore avant de se reposer. M. Lévy a eu le grand prix de Rome en 1854 ; son envoi de cinquième année, exposé au Salon de 1859, le Souper libre, n’était ni bon ni mauvais, c’était simplement un tableau comme il en sort tous les ans de la villa Medicis ; ses premiers tableaux, Vénus, Vercingétorix, étaient grêles, d’une peinture assez molle et d’un contour beaucoup trop sec. Le peintre se cherchait et ne se trouvait pas. L’an dernier, la Mort d’Orphée, et l’Idylle, malgré certains défauts que nous avons signalés, indiquaient déjà que les bonnes qualités avaient une tendance à prendre le dessus et à triompher de ce que l’éducation première avait eu d’insuffisant. La métamorphose est complète aujourd’hui ; la chrysalide a brisé sa coque, nous le constatons avec joie. Un fait est frappant surtout chez M. Emile Lévy ; il est manifeste qu’il n’est point de coloriste et qu’il fait des efforts extraordinaires pour le devenir. S’il continue, il le deviendra, et nous aurons assisté à un phénomène étrange, car le don de la couleur est généralement inné. Je croirais volontiers que la vue des tableaux de M. Gustave Moreau n’a point été sans exercer une notable influence sur M. Lévy ; dans son Vertige, je retrouve une sorte de réminiscence vague des colorations du jeune maître, qui n’a rien exposé cette année. Cela est un bon signe, car, lorsqu’on apprécie franchement les qualités, des autres, on est tout près de reconnaître ses propres défauts et de s’en corriger. C’est là un mérite qui n’est point mince, et il me paraît que M. Lévy le possède, à un haut degré. « S’améliorer, » disait Goethe ; tout est là en effet, dans la vie comme dans l’art, et il faut