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la seule imaginable, consacrée qu’elle était par la longue possession et surtout par la transfiguration poétique du hardi et brillant condottiere qui l’avait fondée[1], il parut tout naturel de se représenter l’avenir national sous la forme d’un royaume gouverné selon les lois de l’équité par un descendant de David, qui serait le maschiach (messie ou oint de Dieu), et sous le sceptre duquel la nation élue verrait se réaliser ses plus hautes espérances. Telle est la genèse psychologique de cette attente réservée à de si nombreuses transformations. Rien de plus faux que l’idée d’après laquelle les prophètes l’auraient décrite suivant un modèle précis et constant. Il y aurait tout un livre à faire sur les variations de l’attente messianique. Tantôt les peuples étrangers doivent disparaître, tantôt ils seront conquis les armes à la main, tantôt ils se soumettront volontairement aux Israélites. Il est évident que sur le thème général d’un avenir de gloire et de bonheur, l’imagination, la fantaisie individuelle ont brodé une foule de traits ondoyans et divers. Il y a plus, on peut citer des prophètes qui n’attendent pas même de messie personnel. Joël, Sophonie, le second Ésaïe, Nahum, sont dans ce cas. Ils pensent que le peuple d’Israël formera une sorte de république théocratique, directement gouvernée par l’inspiration de Jéhovah. D’autres au contraire, par exemple le premier Ésaïe, ne tarissent pas dans les titres d’honneur qu’ils décernent d’avarice au lieutenant de Jéhovah. On l’appellera le sage, le héros de Dieu, le père du butin, le prince pacifique, le roi du miracle, le père d’éternité, etc. Jérémie aime à penser que le Messie et Jérusalem porteront ensemble le même nom, Jéhovah notre justice[2]. Si l’on croit qu’il sera un descendant de David, on croit aussi, non pas nécessairement qu’il naîtra à Bethléhem, mais qu’il sortira de cette petite ville d’où la famille de David est originaire. Il sera donc le « rejeton » par excellence de cette souche féconde, et souvent on l’appelle simplement le Rejeton. En général on s’attend à la

  1. ) Le grand secret de la popularité du roi David au sein du peuple de Juda, popularité toujours croissante et ne se démentant jamais, au point qu’aucun parti religieux ou politique ne songe à lutter contre elle, doit être cherché, non pas seulement dans le prestige de ses victoires, mais aussi dans le fait que le cycle dont il est le héros, le montre sous diverses faces qui lui rattachent toutes les tendances nationales. Il y a en lui tout à la fois l’aventurier, le fin politique, le guerrier, le poète, l’homme religieux et le voluptueux. Lorsque les réactions polythéistes regagnaient périodiquement le terrain conduis par le monothéisme et pourtant continuaient de respecter le trône des descendans du David, ce n’est certainement pas parce qu’elle espéraient que sa dynastie produirait toujours des rois « selon le cœur de Dieu. » On pourrait jusqu’à un certain point comparer ce genre de population à celui dont Henri IV fut l’objet en France après sa mort. Il est difficile de dire si les qualités y contribuèrent plus que les défauts.
  2. Comp. XXIII, 6 ; XXXIII, 16.