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pouvoirs à sa femme, Anne de Poncher, laquelle n’avait quitté ni la France ni même la cour, où on n’avait cessé de lui faire bon visage pendant qu’on poursuivait à outrance son infortuné mari. Dès lors les choses allèrent vite. Bohier se résignant à en passer par où on voulait, on cessa de le tracasser sur le reste. Le 8 février 1554, le grand-conseil, après avoir ouï le procureur-général du roi d’une part et de l’autre Anne de Poncher, assistée de maître Thierry du Mont, conseiller du roi et maître des requêtes ordinaire en son hôtel, rendit un arrêt qui cassait et annulait l’acte de 1535 sur le fait de la vente de Chenonceau, moyennant quoi on consentait — quelle générosité ! — à valider la transaction sur tous les autres points, y compris la remise de la soulte en deniers faite à Bohier par le feu roi François[1].

Les adversaires de Bohier avaient atteint leur but. Le lecteur a compris où tendaient toutes ces procédures. Que fallait-il ? Supprimer le passage de Chenonceau à travers le domaine royal, faire qu’il n’eût jamais appartenu ni à la couronne ni au roi. Voilà pourquoi on voulait à tout prix anéantir la transaction de 1535, voilà pourquoi on réintégrait de force dans ce beau domaine un propriétaire récalcitrant. On savait bien que Bohier serait hors d’état de payer du jour au lendemain les sommes dont on le rendait débiteur. Messieurs du conseil dans leur arrêt n’admettaient même pas l’hypothèse du remboursement. On devait saisir immédiatement Chenonceau entre les mains de Bohier, puis on le vendrait aux enchères, et Diane l’achèterait au plus bas prix possible. C’était là l’essentiel. Quant au reste, on ne s’en inquiétait guère : la loi violée, la justice méconnue, un innocent ruiné, était-ce la peine d’en parler ?

Le premier acte de la comédie venait d’être joué ; sans tarder, on passa au second. Aussitôt le jugement rendu, on expédia à Bohier sa nouvelle propriété sous forme de gros sacs bourrés de titres et de parchemins ; puis aussitôt, sans lui laisser le temps de respirer, on procéda à la saisie réelle de Chenonceau et de ses dépendances. Le jugement du grand-conseil avait été rendu le 8 février 1554 ; les lettres patentes du roi ordonnant la saisie sont datées du 11 du même mois. Trois jours ! Ce n’était pas perdre de temps. Du 11 février jusqu’au commencement de juillet, ce ne

  1. Le lieutenant du roi au bailliage de Touraine avait en 1535 prisé Chenonceau à la somme de 90,000 livres. On se rappelle que Bohier, par suite des poursuites exercées contre la gestion de son père, était débiteur de la somme de 190,000 livres. Il paya en deniers et en créances environ 60,000 livres ; restait une soulte de 40,000. C’est cette somme dont le roi François lui avait fait remise et dont l’arrêt de 1554 affectait de l’exonérer à nouveau, ne laissant à sa charge que les 90,000 livres, montant de la prisée de Chenoncecau.