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refuseraient à un bon système de culture. Ce qui prouve la généralité de ces excellentes coutumes, c’est qu’en examinant les tableaux de statistique qui indiquent l’étendue des propriétés, on les trouve presque toutes rangées dans certaines catégories qui répondent aux exigences du labourage. Ainsi les biens de 30 à 300 morgen occupent plus de 38 pour 100 de la superficie, et ceux dépassant 600 morgen 44 pour 100 ; ceux de 300 à 600 morgen ne prennent que 6,45, et ceux au-dessous de 30 morgen que 11,37 pour 100. Ainsi la grande propriété d’origine féodale et la moyenne propriété, cultivée par la classe des paysans qui la possèdent, couvrent les 82 centièmes du territoire. Il n’y a donc point lieu de se plaindre que le morcellement émiette le sol prussien, ni surtout de prendre des mesures pour entraver la liberté des transactions foncières. Il est à désirer plutôt que dans les provinces orientales les paysans, désormais complètement affranchis des servitudes de l’ancien régime, puissent acquérir une partie des rittergüter, souvent trop étendus maintenant relativement au capital d’exploitation qu’on y applique. Le parti féodal avait rêvé un moment de faire de la Prusse un grand Mecklembourg, avec de vastes domaines nobles indivisibles, constitués en majorât et mis en valeur par des ouvriers agricoles assujettis à la terre, assurés, de leur sort, soumis à une sorte de patronage patriarcal, mais bâtonnés à l’occasion et fournissant les soldats au moyen desquels on aurait dompté les aspirations libérales des villes et de la bourgeoisie. Cet idéal, qu’on a pu croire réalisable il y a quelques années, a été emporté par le mouvement des événemens contemporains et par le furieux élan qui a jeté la Prusse dans la carrière des transformations hâtives et violentes. Pour arriver à son but, le gouvernement n’a pas craint de faire appel à la démocratie. Si le nouvel état qui a surgi comme par enchantement des prodigieux événemens de l’été dernier veut conserver son ascendant en Allemagne, il doit rompre franchement avec l’ancien régime, dont les influences survivantes arrêtent encore l’émancipation de la classe moyenne dans toute la partie orientale du royaume. C’est en définitive la constitution de la propriété qui donne à toute société son caractère distinctif. Il faut qu’en Prusse la population, qui s’accroît si rapidement, puisse arriver sans obstacle par le travail et l’épargne à la possession du sol. Le progrès de la richesse et de la liberté est à ce prix.


EMILE DE LAVELEYE.