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Le soin que les membres du conseil national apportent à étudier les réformes que nécessite l’enseignement public est partagé par le reste de la nation. Au vieil esprit de discorde et d’isolement, qui a régné si longtemps dans son sein et qui a entravé ses progrès, a succédé le sentiment de la solidarité de tous et un zèle très vif pour les entreprises d’utilité commune. En peu de temps ont surgi une foule d’associations philanthropiques ou scientifiques, le plus souvent réunissant ces deux caractères à la fois, comme celle des professeurs et la société dite de Sanoutz. Cette dernière groupe les anciens élèves des écoles ; elle ravive parmi eux le goût des études sérieuses, et le répand autour d’elle par l’établissement de cabinets de lecture où l’on voit étalés sur les tables les journaux français et les nouveautés de la librairie parisienne. Cette société distribue des secours à ceux de ses membres que frappe le malheur ; elle vient aussi en aide aux étudians pauvres en les entretenant jusqu’à ce qu’ils aient terminé leur éducation.

De toutes ces associations, la plus patriotique, la plus méritante est celle qui, sous le titre de Antzenanevêr enguerouthioun (société philanthropique)[1], doit son origine à quelques particuliers, qui se sont proposé de propager l’instruction surtout parmi le peuple. Un des plus généreux fondateurs de cette association est un homme éminemment respectable, mais que son état de bijoutier ne semblait pas appeler à l’apostolat qu’il exerce parmi ses compatriotes[2]. Le succès a dépassé toute attente, et aujourd’hui l’on ne sait ce que l’on doit admirer le plus, ou du dévouement des citoyens de toute profession qui consacrent leurs deniers ou leur temps à cet enseignement, ou de l’ardeur du public à profiter de leurs leçons. Des ouvriers, des portefaix (hammals), après une semaine de pénibles fatigues, accourent le dimanche pour les entendre ; ils apprennent la lecture, l’écriture, l’arithmétique, la géographie et la langue française. On cite plusieurs de ces auditeurs qui, après avoir franchi le cercle des études primaires, ont pénétré dans le cercle plus vaste et plus élevé de l’instruction secondaire et s’y sont distingués. L’influence de la société philanthropique arménienne rayonne maintenant de la capitale jusque dans les provinces. De laborieux ouvriers formés à cette école rentrent chaque jour dans leur village, rapportant les connaissances et les principes de moralité qu’ils y ont puisés.

  1. Je rends par un équivalent en français ce titre arménien qui signifie littéralement Société d’offrandes spontanées.
  2. Nous tenons à honneur de nommer ici publiquement M. Christosadour, qui emploie pour le bien de sa nation toutes les ressources que son ardente et ingénieuse charité lui fait trouver.