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s’être arrêté à une profession déterminée, qui, en calmant les inquiétudes d’une intelligence trop ardente, eût fixé ses irrésolutions et l’eût armé par la perspective d’un avenir contre les mauvaises chances du présent. On le voit au contraire pendant ces premières années sans cesse agité par ses chimères et son indécision. Il accepte d’abord une place de précepteur dans la maison de Mme Charlotte de Kalb, la noble amie de Schiller. Découragé au bout d’un an du peu de succès de ses soins, entraîné par un impérieux besoin d’études moins solitaires, il renonce à cette place, et va s’établir à Iéna pour être à portée des leçons de Fichte, et surtout dans l’espoir que les ressources de l’enseignement particulier lui suffiraient pour le moment. L’expérience l’ayant bientôt détrompé, il avait repris cette délicate position de précepteur dans une famille de Francfort, où il avait à faire l’éducation de deux jeunes enfans. Leur mère était une femme aussi distinguée par l’intelligence que séduisante par sa douceur et sa grâce ; elle ne tarda pas à faire sur l’esprit du jeune précepteur une impression profonde. Devenue sans le savoir l’objet de son culte secret, l’inspiratrice de sa pensée, célébrée sous le nom platonicien de Diotime dans des poésies brûlantes et dans le roman toujours caressé d’Hypérion, elle ne put toutefois ignorer longtemps la passion qu’elle avait allumée, et commit l’imprudence de ne pas décourager assez tôt cet amour, d’autant plus dangereux qu’il ne demandait rien et s’enveloppait naïvement des apparences du plus pur enthousiasme. Il semblerait que les premiers effets de ce sentiment dans une âme jusque-là si agitée furent d’y répandre une paix inconnue. Hœlderlin se livre dès lors, avec une suite et une vivacité qu’on prendrait pour l’indice d’une tranquillité profonde, non-seulement à la poésie, mais aux études les plus ardues et les plus réfrigérantes, les mathématiques, la botanique, le droit. L’avenir se présentait à lui sous un aspect agréable. Toujours en correspondance avec son ami Hegel, qui se trouvait alors relégué à Berne comme en exil, Hœlderlin lui avait découvert à Francfort une éducation à faire, et il l’avait décidé sans peine à s’en charger. Il allait pouvoir renouer ces entretiens philosophiques qui n’avaient jamais entièrement cessé, même de loin, et en effet, au commencement de l’année 1797, Hegel était à Francfort et traçait, sans doute avec le concours et les encouragemens de son ami, les premiers linéamens de son système. Mille occasions leur procuraient la visite des anciens camarades de Tubingue et leur servaient de prétexte pour rattacher au présent les souvenirs encore frais de la vie d’étudiant. Goethe, alors à l’apogée de sa gloire, étant venu à Francfort, Hœlderlin se décida, non sans effort, à lui rendre visite. « Hier, écrit Goethe à Schiller, Hœlderlin est venu chez moi. Il a l’air un peu abattu et malade ; mais il est