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société coopérative de production entre le propriétaire et le travailleur agricole. L’un fournit la terre et le cheptel, l’autre se charge de la main-d’œuvre, et la valeur des outils qu’il apporte est si minime qu’elle ajoute bien peu de chose au prix de son activité personnelle. Le produit brut est partagé par moitié ordinairement ; quelquefois, si la terre est très fertile, le propriétaire prend les deux tiers. Eh bien ! les colons, dédaignant la participation aux bénéfices, tendent chaque jour davantage à se faire employés salariés, surtout depuis que le salaire fixe a augmenté dans l’industrie rurale. Ce n’est donc pas à l’association que les ouvriers de la campagne recourent pour élever la rémunération de leur travail. A force d’économies, ils amassent la somme qui leur est nécessaire pour acquérir un champ et une vigne. Une fois assurés du pain et du vin, ils dominent le marché et fixent les conditions de leur concours. Si on leur parlait de métayage, une fois qu’ils en sont affranchis, je doute que ce langage fût de leur goût. Le salaire est préféré parce que, le jour où la rémunération n’est pas suffisante, le petit propriétaire se retire sur son champ comme sur un petit mont Aventin où il attend des offres plus favorables. Ce fait remarquable ne démontre-t-il pas que la coopération n’a aucun titre à la possession exclusive de l’avenir ? Le salaire fixe est si peu un instrument d’esclavage qu’une partie considérable de la population l’adopte pour étendre son indépendance, Que la liberté du choix soit donc entière, que la loi soit modifiée dans un sens favorable à la formation des sociétés, qu’on supprime les entraves dont notre législation est surchargée, nous applaudirons à ces changemens. La liberté fera de la coopération ce que celle-ci doit et peut être, et, sans détruire ni même ébranler aucune des formes naturelles sous lesquelles s’exercent aujourd’hui les droits respectifs de la propriété et du travail, elle laissera prendre à cette forme nouvelle, mais non plus respectable que les autres, la place légitime qui lui convient dans l’ordre social. Ce sera une variété de plus, et non pas, qu’on en soit bien sûr, l’uniformité.


III

Si la condition de l’ouvrier salarié a pu être comparée à celle de l’affranchi qui garderait encore un anneau de sa vieille chaîne, ce n’est nullement dans le salaire pris en lui-même que résidait, comme on se l’est à tort imaginé, ce vestige irritant de l’antique servitude ; il résidait uniquement dans un article de loi tendant à prévenir les coalitions, c’est-à-dire à empêcher des hommes de même profession, souffrant des mêmes maux, ayant les mêmes besoins, de se concerter entre eux et d’unir leurs efforts pour