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bientôt inutile, congédier de préférence ceux qui ne sont pas attachés à la localité par des liens de famille, parce que la mobilité de leur situation rendra le déplacement moins douloureux ; ils doivent mettre à profit leurs nombreuses relations afin de procurer de l’emploi dans les autres fabriques ou les autres villes aux ouvriers qui seront remplacés par la machine ; enfin ils doivent remplir toutes les obligations que comporte la belle qualité de patron, car ce mot signifie ami et protecteur. Renvoyer instantanément une phalange d’ouvriers, c’est-à-dire les faire passer de l’aisance à l’extrême misère, c’est exercer un droit rigoureux sans le tempérer par l’accomplissement d’un devoir d’humanité. L’intérêt bien entendu est ici d’accord avec la justice pour conseiller des précautions dont l’omission peut devenir préjudiciable à tous. J’ai toujours été frappé de l’intelligence avec laquelle les manufacturiers de Mulhouse pratiquent les obligations du patronage. Ils sont véritablement les amis et les protecteurs de leurs auxiliaires. Est-ce par devoir ? est-ce par intérêt ? Ces deux mobiles ne sont pas toujours contradictoires, et puis qu’importe ? A ne considérer que le mérite des actes, la différence est grande suivant la source dont ils procèdent ; mais l’économie politique n’a pas qualité pour pénétrer dans la conscience de l’agent à travers les faits. Ce qui est nécessaire, c’est que les relations du capital et du travail soient bien comprises et, par intérêt ou par devoir, traitées avec justice.

La richesse est produite par le concours du travail avec le capital et répartie entre les deux élémens coopérateurs. Au point de vue de la production, le capitaliste et l’ouvrier ont le même intérêt, car plus la somme de richesse sera grande, et plus chacun peut espérer d’obtenir une part rémunératrice. Là se trouve véritablement la solidarité entre les patrons et les ouvriers. La relation n’est plus la même quand on vient à la répartition. Comme la somme à distribuer est déterminée, la part de l’un ne s’augmente qu’au détriment de celle de l’autre. Si le salaire s’élève, le profit diminue et réciproquement. Il en est de la répartition des richesses comme de tous les partages. Les co-partageans ont intérêt à grossir la masse partageable, et ils s’entendent jusqu’au moment de la fixation des parts. La lutte commence alors parce que chacun s’efforce d’obtenir le plus possible. Il n’y a qu’un moyen de prévenir efficacement les querelles, c’est de faire équitablement le lot de chacun. Il s’agit, non de s’oublier pour les autres, mais de ne pas s’enfermer dans la contemplation de soi-même, de ses propres besoins, de ses propres soucis, de ses propres convoitises ; il faut songer qu’on est deux et entrer un moment par la pensée dans la situation d’autrui pour en comprendre les légitimes exigences. Cette facile