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mon avis fait choix d’un mot qui ne rend pas exactement leur pensée. La corporation n’était pas, avant 1789, la réunion des ouvriers, c’était celle des maîtres privilégiés ; c’était une communauté presque fermée, dont l’entrée n’était permise qu’à certaines conditions assez nombreuses et hors de la portée du grand nombre. Le rétablissement de cet ordre de choses ferait rétrograder la liberté et menacerait l’égalité. Il y a néanmoins dans cette opinion mal formulée une part de vérité qu’il faut reconnaître. Elle a été entrevue par l’éminent avocat qui en 1862 a défendu les ouvriers typographes de Paris. Les notaires, les avoués, les agens de change, disait-il, sont représentés par des chambres ou des syndicats qui s’occupent des intérêts de tous et des droits de chacun. Cette organisation tient-elle à ce que ces professions sont de véritables corporations fermées ? Nullement ; les avocats, dont la carrière est libre, ont un conseil de discipline qui protège le droit des confrères en même temps qu’il surveille leur conduite professionnelle. Dans un grand nombre d’industries, les patrons ont créé des chambres syndicales qui sont des centres d’information et de réunion. Cette organisation est sortie naturellement des besoins de l’industrie, parce que partout où se trouvent des intéressés en grand nombre la représentation par mandataires est pour ainsi dire forcée. C’est un terme moyen entre l’ancienne corporation exclusive et l’isolement absolu. Les détails peuvent être discutés ; mais la bonté du principe est incontestable. Créera-t-on des chambres mixtes où, comme dans les conseils de prud’hommes, les représentans des ouvriers délibéreront avec les mandataires des patrons ? Séparera-t-on au contraire les syndics du travail et ceux du capital ? Y aura-t-il autant de chambres que de professions, ou toutes les industries seront-elles représentées par une chambre unique ? Ces questions méritent assurément qu’on les soumette à une discussion approfondie. Ce débat n’est cependant que secondaire, et avant tout il s’agit de faire prévaloir l’idée générale du syndicat.

Les réclamations en matière de salaires seraient portées devant les mandataires élus par les intéressés. Celles qui offriraient un caractère sérieux trouveraient là un appui ; les prétentions folles seraient rejetées. Les délégués se garderaient d’engager légèrement leur responsabilité en soutenant des demandes excessives. D’ailleurs, si par erreur ou passion les syndics des ouvriers appuyaient des réclamations injustes, la discussion avec les délégués des patrons les ramènerait à la vérité. L’expérience des conseils de prud’hommes a prouvé que les ouvriers ne sont pas, sur leur siège, moins justes que les patrons. On dit que les délégués du travail seront les agens d’une coalition permanente : aime-t-on mieux des