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idées les plus indépendantes et les plus modérées, qui les avait professées et mises en pratique soit qu’elles eussent la faveur ou la défaveur du pouvoir ou du peuple, qui avait plus d’une fois soutenu des causes difficiles et leur était resté fidèle dans leurs épreuves. C’était dans les régions les plus hautes et souvent les moins fréquentées que ce mort si accompagné avait porté sa pensée et pris les lois de sa conduite.

A la sympathie publique qui a entouré le cercueil de M. de Barante, il faut chercher d’autres causes que la puissance du jour et la faveur de la foule.

La première et la plus apparente était sans contredit sa supériorité intellectuelle et la renommée qu’elle lui avait acquise. C’était l’un des plus rares esprits de son temps, à la fois élevé et varié, solide et fin, sensé et élégant, libre avec respect et mesure, capable des études sérieuses et vif à toutes les jouissances littéraires et sociales. Il avait fait ses preuves dans les genres les plus divers, dans la politique comme dans les lettres, dans les longs ouvrages comme dans la conversation rapide et mondaine. Et à cet esprit éminent se joignait un caractère remarquablement droit, sûr, fidèle, indépendant sans rudesse ni bruit, doux et bienveillant au fond, quoique avec un piquant mélange d’exigence et de malice dans ses jugemens et dans son langage. La supériorité a souvent le malheur et quelquefois le tort de blesser ceux qui assistent à ses épanouissemens, et d’exciter, même dans les indifférens, l’humeur et l’envie ; mais quand elle est une fois bien constatée, quand de plus elle abdique toute prétention dominante, et quand enfin la mort vient la désarmer dans ce monde en l’élevant à une sphère plus haute, elle reprend alors ses avantages comme ses droits, et elle retrouve non-seulement la faveur du public, mais l’équité des susceptibles et des jaloux. Dans la dernière portion de sa vie, M. de Barante avait recueilli ce fruit de ses mérites supérieurs ; l’opinion publique le. classait de bonne grâce à son juste rang, et nulle récrimination, nulle dissidence, ne troublaient la sympathie autour de son tombeau.

Ce n’est pas là pourtant une explication suffisante du sentiment général qui s’est manifesté à la mort de M. de Barante, et qui s’attache et s’attachera à son nom. Il y en a une cause plus profonde et qui mérite d’être signalée, car elle éclaire notre passé et répand l’espérance sur notre avenir.

Né le 10 juin 1782, M. de Barante a vu et traversé dans notre patrie sept régimes successifs, l’ancienne monarchie, la révolution de 1789, la première république, le premier empire, la restauration, la monarchie de 1830, la seconde république, le second empire.