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marais d’où se dégageaient des fièvres mortelles. C’est encore lui qui exploite au Pérou le guano des îles Chinchas, à l’odeur méphitique, lui qui sous le ciel de feu des tropiques cultive le coton et la canne à sucre dans nombre de colonies. Dans les états du Pacifique, c’est lui enfin qui prête aux Américains le secours si avantageux de ses bras pour le lavage des alluvions aurifères ou le tracé de la grande route inter-océanique. Il marche à l’est, et d’étape en étape la troupe s’avance. Un beau jour, le terrassier chinois, ce paria de l’extrême Orient, rencontrera l’Irlandais, ce déshérité de l’Occident, et de ce rapprochement singulier il y aura plus d’un enseignement à tirer. Qu’ils restent sur ce soi fertile, ces deux exilés que la misère et la faim ont chassés de leur foyer primitif, qu’ils colonisent ces terres vierges, qu’ils y fondent la famille du pionnier, et la fortune la considération, viendront avec le bien-être et la richesse. Citoyens d’un pays libre, ils trouveront au moins sur ce point l’indépendance, l’espace et les moyens d’action qui leur ont manqué au pays natal.

Le coût total du chemin de fer du Pacifique est estimé à 750 millions de francs. Le tiers de cette somme, 250 millions, a été garanti par le gouvernement fédéral, et cela en dehors des concessions de terres qu’il a faites à la compagnie dans les divers états ou territoires que traverse la voie. Les particuliers ont fourni le reste, 500 millions, et les mormons ont tenu à honneur de souscrire à eux seuls pour un cinquième de la somme, soit 100 millions de francs.

Le 23 octobre 1866 a eu lieu l’inauguration solennelle des 400 premiers kilomètres de ligne ferrée livrés à partir d’Omaha. Le terme réglementaire accordé pour l’ouverture de ce tronçon avait été devancé de dix-huit mois, et le parcours, qui d’après les conventions aurait pu n’être que de cent lieues, avait été augmenté d’un quart, c’est-à-dire qu’il atteignait près de 500 kilomètres, tant l’activité avait été grande sur les chantiers. La fête fut grandiose. Le convoi d’honneur emporta vers les prairies plusieurs membres du congrès, des fonctionnaires, des ingénieurs, des écrivains, des artistes, choisis parmi les plus éminens de l’Union. Les dames, qui sont de toutes les parties aux États-Unis, n’eurent garde de manquer à rappel. Un seul désintéressés fut absent, le général John A. Dix, président de la compagnie du chemin de fer, qui venait d’être nommé ministre des États-Unis en France. Le convoi comprenait neuf de ces immenses wagons américains si comfortables, Si bien distribués. Il était traîné par deux magnifiques locomotives, du type de celle qui vient de remporter la grande médaille d’honneur à l’exposition universelle. L’un des wagons avait été construit en 1865 pour transporter le corps de Lincoln en Illinois, où est le tombeau du président martyr et où fut son berceau. Le gouvernement avait cédé cette relique à la compagnie du chemin de fer, à la condition que ce wagon serait le premier qui traverserait tout le continent américain du Missouri au Sacramento. Raconterons-nous ces fêtes d’inauguration ? Tout se passa avec ce