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dont le nom, déjà populaire, a franchi les frontières de la France et s’impose au respect des étrangers, M. Meissonier a envoyé plusieurs toiles qui toutes, à divers degrés, ont une importance considérable, Celle que nous préférons est le Renseignement, car à l’exactitude minutieuse qui lui est familière le peintre a su ajouter une élévation de style qu’on ne saurait trop louer ; de plus M. Meissonier sait mieux que personne faire circuler l’air dans les tableaux, grouper les figures avec habileté et les mettre en rapport fort judicieux avec le paysage. MM. Fromentin, Comte, Breton, nous montrent des tableaux connus, dont nous avons déjà parlé, et qui prouvent que la réputation de ces artistes n’a rien d’usurpé ; M. Gérôme a une exposition très complète, où je regrette de ne pas revoir Cléopâtre et où je n’aurais pas voulu retrouver la Phryné. M. Cabanel, qui me paraît un esprit troublé et chercheur, qui fait parfois de beaux portraits, qui malgré son talent à certains côtés maladifs qu’on dirait empruntés à M. Hébert, expose un Adam et Ève chassés du paradis qui a des qualités remarquables de modelé et de coloris. C’est parmi les peintres d’histoire qu’il convient de placer M. Bida, quoiqu’il n’ait jamais manié que le crayon. Celui-là, nous pouvons le montrer à l’Europe entière, elle ne nous offrira point son égal. Son Massacre des mamelucks, où toutes les victimes, tombées deux par deux comme les soldats de la légion thébaine, affirment en mourant l’affection qui unissait leur vie, est une œuvre hors ligne dont l’artiste a su se tirer avec un bonheur extraordinaire malgré les difficultés forcées de l’exactitude historique, qui imposait une composition en cascade. Si à ce dessin on ajoute ceux que M. Bida a faits pour son admirable commentaire des Évangiles, et dont quelques-uns ont été si remarquablement gravés par MM. Edmond Hédouin et Flameng, on conviendra que l’artiste capable d’un tel et si beau travail est un juste sujet d’orgueil pour son pays.

Les hommes dont nous venons de parler appartenaient déjà en quelque sorte au passé, en ce sens que tous sans exception étaient connus avant l’exposition universelle de 1855. Leur talent a pu s’accroître, mais il avait déjà fait ses preuves. Il est donc plus intéressant de voir quels sont les artistes qui, depuis douze ans, se sont imposés avec autorité et résument par conséquent l’avenir de la peinture française. Nous en reconnaissons trois qui, par leurs tendances, leurs efforts et leurs œuvres, pourront, tout en suivant les courans différens où les entraînent leurs affinités, continuer nos traditions en fait d’art. Ce sont MM. Paul Baudry, Gustave Moreau et Émile Lévy. Le premier est né coloriste ; il a été doué au berceau par la fée des jolies nuances. Il y a dans sa manière de