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C’est là le signe d’un esprit supérieur. Par la solidité de sa facture, par les ingénieuses recherches de sa coloration, par le style souvent un peu trop voulu de ses figures, par ses conceptions originales et son ordonnance toujours très noble, M. Moreau montre qu’il est un artiste convaincu, entêté dans la voie du bien, et que rien ne lui coûtera pour saisir enfin son idéal corps à corps. Jusqu’à présent il est resté absolument insensible aux mauvaises suggestions de nos temps dépravés ; comme un ermite, il s’est enfermé face à face avec son dieu, il l’adore, l’interroge et l’écoute. C’est lui qui, parmi les nouveau-venus nous semble appelé aux plus grandes choses. Une telle volonté, mise au service d’un talent déjà maître de soi, ne peut qu’arriver à produire des œuvres, sérieuses. Nous espérons que son exemple, si excellent, si désintéressé, sera suivi par les artistes, et qu’ils comprendront enfin, que l’habileté de main n’est rien, absolument rien, si l’on n’y ajoute la culture intellectuelle.

On peut juger au Champ de Mars même des progrès que M. Emile Lévy a faits, des combats qu’il a dû se livrer à lui-même pour arriver à produire ce Vertige dont j’ai parlé tout récemment[1], en effet, toute son œuvre est exposée là, depuis son envoi de Rome, le Repas libre, jusqu’à la Mort d’Orphée de 1866. Rien certes n’est plus touchant à reconnaître, rien n’est plus doux à constater que les efforts d’un talent indécis, tourmenté, qui finit par se dégager de ses langes et s’affirmer avec autorité. Ces efforts, on peut les suivre sur chacun des tableaux de M. Emile Lévy. Le modelé du Repas libre est plat, l’artiste le comprend ; il se serre trop, et arrive à la sécheresse dans le Vercingétorix, cette sécheresse le choque, il l’adoucit singulièrement dans l’Orphée, où des premières tentatives de coloris apparaissent très nettement. Je ne saurais dire combien je suis ému, — car le fait est bien rare, — lorsque je vois un artiste, reconnaissant lui-même ses défauts, les corriger, modifier les influences de son éducation première, oublier les traditions dont on l’a nourri, s’ouvrir une voie nouvelle et y marcher sans reculer. C’est le cas de M. Emile Lévy. Si, continuant sur lui-même ce travail d’élimination et d’assimilation qu’il a honorablement commencé, il ne s’arrête pas en chemin et tient toutes les promesses qu’il a faites cette année, nous aurons un très bon peintre de plus, et un artiste dont l’influence pourra être utile à notre école.

Il est superflu de dire que notre peinture de paysage est sans rivale au monde ; c’est un fait de notoriété publique et qui depuis longtemps n’a plus besoin de démonstration ; c’est en France que s’est faite la révolution que John Sell Cotman avait tentée en

  1. Voyez dans la Revue du 1er juin le Salon de 1867.