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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 70.djvu/156

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les déportés, n’espérant plus retourner au pays de leurs pères, voulaient construire un temple à Jéhovah sur la terre d’exil. Le prophète condamne ce dessein, il prétend que Jéhovah n’a pas besoin d’un tel édifice, et il s’exprime comme si toute espèce de culte rituel et sacerdotal était inutile. Conçoit-on un pareil langage dans la bouche d’un prophète contemporain du temple de Salomon ? Autre différence à noter : dans le premier groupe l’observation du sabbat n’est que médiocrement prisée, tandis que dans le second cette observation, qui contribuait si fortement à conserver au peuple juif sa physionomie distincte au milieu des populations étrangères, est élevée au premier rang des devoirs du croyant fidèle.

Disons enfin ce qui, selon nous, tranche la question à tous les points de vue : c’est que les prévisions énoncées dans une partie du recueil homonyme diffèrent notablement de celles qu’on trouve dans l’autre partie. Les premiers chapitres, par exemple, énoncent l’attente d’un messie, d’un oint du Seigneur, descendant de David, sous le sceptre duquel l’état juif atteindra un degré de splendeur et de prospérité sans pareil ; les derniers contiennent aussi des idées très hautes de l’avenir prochain réservé au peuple de Dieu, mais ils ne prévoient pas de messie personnel, ou plutôt leur messie, leur oint du Seigneur, que Jéhovah envoie au secours de son peuple, cela est dit en toutes lettres, c’est un étranger, c’est Cyrus.

Il me semble que, pour tout esprit non prévenu, il y a là des preuves plus que suffisantes en faveur de la thèse qu’il s’agissait d’éclaircir. Ce résultat résout aussi la question d’origine de ces fragmens intercalés dans les quarante premiers chapitres et qui révèlent une situation historique semblable à celle qui est si reconnaissable à la fin du recueil, l’exil à Babylone[1]. Ils doivent donc être reportés à la même date, sans qu’on ait pour cela le droit de les attribuer à un même auteur. L’intercalation de ces fragmens dans un texte plus ancien doit être mise sur le compte des collecteurs, et peut-être en trouverons-nous aussi l’explication.

En résumé, dans le livre actuel d’Ésaïe nous avons une collection de prophéties de différentes époques, et en nous appuyant sur les indications qu’elles donnent elles-mêmes quant au moment où elles furent composées, nous pourrons en montrer l’intérêt historique.


II

Le premier Ésaïe, — car nous pouvons désormais le désigner ainsi, — celui de qui proviennent en majorité les quarante premiers chapitres du livre, prophétisa donc sous les rois Yotham, Achaz et

  1. Ce sont les fragmens XIII, 1 — XIV, 23, XXI, 1-10 ; XXIV-XXVII, XXXIV-XXXV.