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qui vivait si bien dans son prophétisme qu’il n’avait qu’à se nommer, lui et ses enfans, pour prophétiser. Il n’est pas possible de croire plus profondément à sa mission. Au milieu même des désastres qui fondent sur son pays et qui ébranlent la foi des plus confians, le voilà qui chante :


« Je me confie en Jéhovah, — et j’espère en lui. — Moi et les enfans que Jéhovah m’a donnés, — nous sommes des signes et des présages. »


Malheureusement il ne parvint pas à persuader le roi Achaz, qui fut d’avis que le dieu du roi d’Assyrie était encore bien plus puissant que Baal ou Jéhovah, puisqu’il donnait à son protégé ce qui pouvait s’appeler alors l’empire universel. Il alla à Damas pour rendre hommage à son nouveau suzerain, et de là il ordonna à son sacrificateur de Jérusalem la construction d’un autel tout semblable à celui dont Tiglat-Pilezer se servait pour faire ses dévotions ; puis il le fit mettre dans le temple tout à côté de l’autel de Jéhovah. C’était un syncrétisme religieux qui devait remplir d’horreur les puritains fidèles comme Ésaïe. Aussi, bien que, depuis l’an 739 jusqu’en 728, date de la mort d’Achaz, le royaume de Juda, débarrassé de ses ennemis et n’ayant qu’à payer le tribut promis au roi d’Assyrie, se fût relevé de ses désastres et eût retrouvé en partie sa prospérité antérieure, il est à présumer que le prophète vit avec joie la fin d’un règne si peu conforme à son idéal politique et religieux, et salua avec enthousiasme l’intronisation du jeune roi Ézéchias.


III

Le règne d’Ézéchias fut en effet glorieux et réparateur malgré les rudes épreuves que durent subir et le prince et le peuplée L’un et l’autre purent se croire favorisés en comparaison de leurs voisins. Les pauvres Éphraïmites, en proie à la guerre civile, entraînés par leur aristocratie turbulente et follement téméraire, tombèrent de mal en pis. Leur roi Hosée entama de secrètes négociations avec l’Égypte dans l’espoir de secouer avec son aide le joug assyrien, ce qui attira sur lui la colère du roi Salmanassar ou Sargon[1]. Ce

  1. Tout bien examiné, et malgré l’autorité des noms qu’on pourrait alléguer en faveur de l’opinion contraire, je crois avec M. Max Duncker qu’il faut rapporter ces deux noms au même personnage. Les inscriptions ne connaissent pas de Salmanassar, successeur de Tiglat-Pilezen Sargon, dans l’inscription gravée par son ordre, se vante d’avoir pris Samarie et déporté vingt-sept mille Israélites, ce qui, selon les livres des Rois, fut précisément l’œuvre de Salmanassar. On est obligé, pour maintenir la distinction des deux personnages, de recourir à d’étranges hypothèses fondées sur les plus médiocres probabilités. Par exemple, il est déjà curieux que précisément les deux noms de Salmanassar et de Sargon aient résisté jusqu’à présent aux essais d’interprétation qui ont si bien réussi avec tant d’autres noms propres assyriens. M. Oppert pourtant croit avoir trouvé le vrai sens de Sargon ; Sargina ou Sarkin, savoir le roi fait, le roi de facto, et il en conclut que Sargon est un usurpateur qui ravit le trône à Salmanassar ou à son fils. Sargon aurait donc poussé l’audace jusqu’à inscrire le fait de son usurpation dans son nom royal. Or qui peut admettre cela ? Ce serait bien la seule fois dans l’histoire qu’un prince, aurait aimé à consacrer de la sorte le souvenir de son usurpation.