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restauration fut mesquine, l’existence du peuple restauré besoigneuse et précaire. Quelques vieillards qui avaient encore pu voir dans leur jeunesse le bel édifice construit par Salomon sur le modèle des temples tyriens pleurèrent quand ils virent le chétif petit temple que l’on construisait à grand’peine. Les prophètes avaient annoncé positivement que, Babylone détruite, ses fils et ses filles devenus par un juste retour les esclaves du peuple de Dieu, celui-ci reprendrait triomphalement possession du sol de ses pères, ramené par les habitans de la terre entière[1], que les richesses des nations afflueraient dans Jérusalem, que les peuples qui ne se soumettraient pas à la nation élue périraient, que les Israélites n’auraient plus qu’à se laisser nourrir et vêtir par les étrangers, que les jours de deuil et d’épouvante ne reviendraient jamais, qu’en un mot la nouvelle Jérusalem régnerait théocratiquement, comme une république de sacrificateurs et de prophètes, sur le monde entier, dont elle serait la cité sainte et la lumière éternelle.

Le prophétisme, quelque religieux qu’il fût, était donc encore trop exclusif, trop égoïste, et il devait subir une profonde réforme avant de s’épanouir dans l’Évangile ; mais gardons-nous bien de le déprécier parce qu’il est resté au-dessous de l’idée latente qu’il portait dans ses flancs. Aux époques de défaillance, lorsque la conscience nationale s’oblitère, lorsqu’un grossier matérialisme menace d’étouffer toutes les aspirations nobles et généreuses, qu’il s’agisse de liberté, de science, d’art ou de religion, les bienfaiteurs et les sauveurs du peuple sont toujours ceux qui tiennent allumé le flambeau de l’avenir, et qui, courageux photophores, le passent à la postérité, — qui rentre grâce à eux dans la ligne quelque temps abandonnée du spiritualisme et du progrès. Si, à la lueur des sciences modernes, les prophètes d’Israël perdent le caractère miraculeux que la tradition leur assignait, ils n’en occupent pas moins une place d’honneur dans cette légion sacrée qui porte sur son étendard la devise de l’ascension éternelle. L’humanité, depuis eux, a appris bien des choses qu’ils ignoraient, et le monde a singulièrement changé de face ; mais quel peuple ne connaît pas dans son histoire, qui de nous ne connaît pas dans sa vie des momens où le plus grand service qu’on ait pu lui rendre a été de lui enseigner l’espérance !


ALBERT RÉVILLE.

  1. Il y a même un passage du second Ésaïe (XLIX, 12) d’où il semble résulter que l’auteur connaissait de nom la Chine, et que des Israélites y habitaient déjà. Il est certain qu’il existe en Chine des communautés israélites dont l’origine remonte très haut.