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Trafalgar. Ils s’étaient tous du moins précipités au-devant de la flotte anglaise, lorsque, privée de son héroïque commandant, mais orgueilleuse de ses récens exploits, elle était venue croiser à l’entrée de la plupart des ports italiens, laissant flotter au loin ses couleurs victorieuses et traînant après elle les bâtimens pris sur les Français. On l’avait vue reparaître triomphalement à Naples. C’était cette même flotte qui avait transporté en Sicile la famille royale et les autorités fugitives ; c’était elle qui fermait en ce moment au roi Joseph le détroit de Messine, et contribuait énergiquement à la défense de la citadelle de Gaëte.

Tous ces heureux efforts de la politique anglaise pour balancer, au moins sur mer, la fortune partout ascendante de Napoléon étaient journellement commentés à Rome. Dans leurs entretiens familiers, les ministres étrangers, ceux-là mêmes dont les cabinets recherchaient notre alliance avec le plus d’ardeur, ne regardaient pas à émettre parfois sur l’issue possible de la lutte engagée entre la France et l’Angleterre des jugemens que leurs collègues de Paris n’auraient jamais songé à hasarder seulement du bout des lèvres, de peur qu’ils n’arrivassent jusqu’à l’oreille jalouse de l’empereur. La société romaine, plus libre en ses allures qu’on ne le suppose généralement, et volontiers portée à s’affranchir de la direction de son gouvernement, agitait elle-même au fond de ses palais toutes les hypothèses de l’avenir. Les partisans de l’ancien régime calculaient secrètement avec joie les chances de restauration que les succès des ennemis du nouvel empire français pourraient rouvrir aux anciennes dynasties déchues. Une certaine agitation impuissante, mais fébrile, mettait également en mouvement les membres épars des diverses congrégations religieuses qui du nord et du midi de l’Italie étaient venus chercher asile à Rome. Parmi eux, les plus actifs et les plus considérés n’avaient pas craint de s’adresser aux passions des basses classes, particulièrement à celles des énergiques habitans de la rive droite du Tibre, population à demi rustique, alors connue par la violence de ses sentimens catholiques et de sa haine pour toutes les nouveautés étrangères.

Si Napoléon eût été bien informé, s’il avait eu à Rome, comme au temps de M. Cacault, un représentant expérimenté, perspicace et de sang-froid, il aurait su que ce mouvement, aussi vain que superficiel, auquel le gouvernement pontifical n’avait nulle part, qu’entravait au contraire la politique personnelle du saint-père, était par lui-même sans danger comme sans véritable importance. Il aurait appris, par exemple, que M. Jackson, loin de pousser la cour de Rome à de violentes hostilités, était un personnage inoffensif, non moins retiré et presque aussi paisible que le vieux monarque