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était présente, Coligny ajouta avec une fierté mêlée d’amertume : « Madame, le roi renonce à entrer dans une guerre… Dieu veuille qu’il ne lui en survienne une autre à laquelle sans doute il ne lui sera pas aussi facile de renoncer !… » Catherine de Médicis ne répondit pas, elle méditait une autre réponse sanglante ; elle était décidée à tout, car (elle se sentait perdue si l’amiral triomphait, si on lui laissait le temps de reprendre son ascendant sur l’esprit du roi, de ramener l’irrésolu Charles IX à ses projets. De tous côtés, on se trouvait poussé vers cette émouvante alternative qui est restée un des plus sombres défilés de l’histoire : ou la guerre avec toutes ses conditions, avec toutes ses conséquences, ou un imprévu sinistre, redoutable, balayant les hommes avec leurs projets, noyant toutes les combinaisons dans le sang, et refoulant violemment les destinées françaises.


II

La question de Pologne se liait intimement, quoique moins directement que la question de Flandre, à cette dramatique situation. Elle venait de prendre corps, pour ainsi dire, au moment où la lutte de toutes les passions et de tous les intérêts se nouait le plus fortement autour de Charles IX avant de se précipiter. Au mois de juillet 1572 expirait à Kniszyn Sigismond-Auguste, le dernier des Jagellons, le roi clément et ferme, « d’honnête conversation et plein d’une grande humanité. » Déjà on avait envoyé de France en Pologne pour préparer le terrain une sorte d’ambassadeur, Balagny, fils naturel de l’évêque de Valence, Montluc, qui n’était arrivé à Kniszyn que pour voir mourir Sigismond-Auguste, sans avoir eu le temps d’être reçu par lui. Après la mort du roi, ce fut l’évêque lui-même qu’on choisit, malgré ses soixante-dix ans, pour sa souplesse, sa dextérité, sa facile éloquence et son habileté à se tirer des circonstances difficiles. L’évêque de Valence partit avec une ambassade soigneusement composée, à laquelle il avait attaché un abbé de Saint-Rhut, son neveu, un conseiller au parlement de Grenoble, Joseph Scaliger, le savant Pierre Ramus, dont le nom avait retenti en Europe. Avant que l’ambassade, qui avait pris rendez-vous à Strasbourg, quittât la France, Ramus avait péri victime de la Saint-Barthélémy, Scaliger s’était réfugié à Genève, les autres ne parurent pas. Montluc lui-même ne fit pas son voyage sans danger. Il s’était tiré habilement de seize grandes missions diplomatiques, il allait se trouver sur un terrain bien autrement difficile et surtout nouveau pour lui, ayant à traiter avec des assemblées de cinquante mille gentilshommes réunis pour faire un