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s’administrait, veillait à sa sûreté et à ses besoins, il avait ses diétines, ses cours de justice ; quand la pospolite, cette landwehr polonaise, était appelée sous les armes, le palatinat formait un corps de troupes séparé. C’est dans cette atmosphère d’indépendance universelle qu’avait grandi et que vivait cette noblesse du XVIe siècle, ardente à l’action, généreuse, chevaleresque, hospitalière, amoureuse des lettres et des arts comme de la guerre et de la politique, mais souvent aussi vaine, légère, turbulente, fastueuse, adonnée aux plaisirs pour le moins autant qu’aux affaires publiques. Le gentilhomme polonais ne paraissait guère à la cour ; il restait dans ses terres, se rendant aux diétines, siégeant dans les tribunaux provinciaux, quand il n’allait pas guerroyer contre les Tartares, — toujours amoureux de distinctions, ambitieux de toutes ces charges de chambellan, de porte-glaive, de porte-enseigne, d’échanson, qui pullulaient dans le palatinat. A part cela, il passait sa vie à chasser, à recevoir ou à rendre des visites. « Toute cette noblesse, écrivait le nonce Ruggieri, est constamment en mouvement, allant faire des visites à ses amis et à ses parens jusqu’à des distances de cent milles quelquefois, ce qui lui est facile, car elle a beaucoup de chevaux et de voitures et transporte avec elle tout ce qui est nécessaire pour le voyage… » Tous ces gentilhommes se ruinaient le plus gaîment du monde ; ils avaient la passion de tous les luxes, — luxe de vêtemens, de costumes à l’italienne et à la hongroise, — luxe de serviteurs, — luxe de table surtout. On restait à table des journées entières ; on buvait beaucoup, on tirait le sabre souvent, puis on se raccommodait en portant le toast national : « aimons-nous ! »

La noblesse polonaise, du reste, n’avait pas le même caractère à tous les degrés et dans toutes les provinces. Dans la Grande-Pologne, la petite noblesse était là plus nombreuse ; elle formait une population serrée et compacte, mais pauvre et réduite souvent à mener elle-même la charrue. Cette noblesse en sabots, comme on l’appelait, n’était pas moins fière et indépendante, et c’est en elle surtout que vivait l’esprit d’égalité. Dans la Petite-Pologne, la constitution sociale différait sensiblement. Le pays était moins peuplé. La grande aristocratie dominait, les idées ! d’égalité avaient fait peu de progrès ; mais au fond tous ces nobles, grands ou petits, qui formaient la nation politique, se réunissaient dans un même sentiment ; ils étaient également résolus à maintenir dans leur intégrité les droits qu’ils avaient conquis, à les faire sanctionner par le roi qu’ils éliraient.

Une bien autre question s’agitait au sein de cette liberté dont la noblesse s’était faite la promotrice, et achevait de caractériser la situation intérieure de la Pologne à ce moment du XVIe siècle : c’était cette question même de la réforme religieuse qui ébranlait et