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religieuses, Henri avait de la peine à se détacher de sa vie de plaisirs et à ne pas considérer son nouveau royaume comme un lieu d’exil. « Se souvenant de la douceur du pays de France, dit un auteur contemporain, et se mettant devant les yeux celui de Pologne tel qu’on le lui avoit figuré, considérant aussi la façon assez rude et agreste des Polonais, ou bien que ce fût pour quelque autre occasion secrète qu’il se réservoit à lui seul, et plutôt pour succéder à son frère qu’autrement, le roi vouloit différer son voyage… »

On perdit le plus de temps qu’on put en discussions d’abord, puis en fêtes. On donna dans le nouveau palais des Tuileries un bal somptueux au nouveau roi et aux Polonais, qui avouèrent que « le bal de France estoit chose impossible à contrefaire à tous les rois de la terre. J’eusse mieux aimé, ajoute d’Aubigné, qu’ils eussent dit cela de nos armées. » Ce ne fut qu’au mois de décembre 1573 que le roi de Pologne se décidait à partir, voyageant lentement avec une suite de douze cents personnes de la première noblesse de France. En traversant l’Allemagne, il voulut s’arrêtera Heidelberg, chez le comte palatin du Rhin, et il put bientôt voir par lui-même quel amer sentiment la Saint-Barthélémy avait laissé dans les cœurs. Le vieux comte palatin, en se promenant avec lui dans une galerie de son palais, s’arrêta devant un tableau qui représentait Coligny : « Voilà, lui dit-il, le portrait du meilleur Français qui ait jamais été, et en la mort duquel la France a perdu beaucoup d’honneur et de sécurité. Bien malheureux ceux qui l’ont fait tuer ! » Un mois après, Henri était à Cracovie, au milieu de cette fière nation qui ne lui ménageait ni les ovations ni les complimens, mais dont les mœurs libres, l’âpre franchise et les mâles habitudes devaient sembler un peu nouvelles à un jeune homme accoutumé à l’air vicié de la cour de Catherine de Médicis.

Ce règne dura moins d’un an ; il ne produisit rien, et ce qui peint le mieux l’état d’esprit du nouveau roi, c’est ce qu’en dit un historien : « Il portait cette couronne comme un rocher sur sa tête… En cette langueur de son exil, Henry n’avoit autre contentement qu’à escrire en France… Cet exercice estoit l’unique allégement de son esprit si ennuyé qu’on lui aouy dire qu’il eust mieux aimé vivre captif en France que libre en Pologne, et qu’il n’y avoit prince au monde qui n’eust porté envie à sa condition… » Henri vivait le plus souvent dans son entourage français, insouciant des affaires, jouant et se livrant à tous les plaisirs. Quelquefois il faisait attendre des sénateurs pendant des heures entières dans ses antichambre sans les recevoir. Pendant les séances de la diète il restait muet et comme étranger à tout ce qui se passait autour de lui. Au fond, il se trouvait roi sans connaître son royaume et sans l’aimer, sans se