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l’état des Juifs en Alsace et sur leurs principes et leurs habitudes concernant l’usure. La commission fut composée de trois maîtres des requêtes : M. Portalis, M. Pasquier et M. Molé, qui fut nommé maître des requêtes à cet effet. Les préfets furent chargés de désigner des rabbins ou autres Juifs considérables qui viendraient donner des renseignemens à la commission. Ce fut M. Pasquier qui recueillit ces renseignemens, et pour la première fois on connut la situation des Juifs, la division de leurs sectes, leur hiérarchie, leurs règlemens. Le rapport de M. Pasquier fut très instructif. L’empereur s’était calmé, et en était venu à l’opinion très sensée que le culte juif devait être officiellement autorisé et prendre une existence régulière et légale. Après le rapport de la commission et pour donner quelque satisfaction aux plaintes de l’Alsace, un décret impérial prescrivit des dispositions transitoires et une sorte de vérification qui ne mettaient point à l’avenir les créanciers juifs hors du droit commun ; puis, afin de régler l’exercice du culte juif, un grand sanhédrin fut convoqué, de telle sorte que toute cette affaire, commencée dans un mouvement d’irritation malveillante et d’intolérance, se termina par une reconnaissance solennelle des rabbins, des synagogues, et l’égalité civile des Juifs reçut une éclatante confirmation.

« Quelques mois après, lorsque l’empereur était en Pologne, voyant l’empressement des Juifs à être utiles à l’armée française et à servir, moyennant salaire, de fournisseurs ou d’informateurs, il disait en riant : « Voilà pourtant à quoi me sert le grand sanhédrin. »

M. de Barante fut bientôt appelé à assister à des spectacles plus saisissans encore que celui du brusque ascendant d’un grand homme au milieu de ses conseillers. Pendant les campagnes de 1806 et 1807, à travers les batailles d’Iéna, d’Eylau et de Friedland, il reçut, comme plusieurs autres auditeurs ses collègues, la mission d’aller en Allemagne et en Pologne administrer, sous le feu de la guerre, les provinces occupées par nos armées. Il a laissé sur cette pénible mission des récits qui, sans aucune prétention historique, sont pleins de ces détails précis et animés qui font la vie comme la vérité de l’histoire. Je n’y veux puiser que quelques traits qui caractérisent fidèlement les événemens de cette brillante époque, les grands acteurs qui les dirigeaient, et non-seulement les naïves impressions qu’en recevait, mais le ferme jugement qu’en portait déjà le jeune et modeste spectateur qui s’y trouvait mêlé.

« J’arrivai à Berlin, dit-il, le 8 novembre 1806. L’ordre de départ que nous avions reçu portait que nous serions sous les ordres de M. Daru, intendant général de l’armée ; ce fut chez lui que je me