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de Bellini tout peut se dire, excepté cette fameuse phrase : « avant de juger cette musique, nous demandons à l’entendre une seconde fois. »

On comprend aisément combien de pareils ouvrages doivent perdre à la traduction. Nous avons entendu en Italie la Sonnambula exécutée par des troupes de sixième ordre. C’était mauvais sans doute, mais l’accent subsistait, et dans l’accent se retrouve une partie du charme, tandis que ce qu’on représente au Théâtre-Lyrique n’a point de nom. Passe encore pour Amina ; mais cet Elvino, justes dieux ! et ce seigneur comte, et ces chœurs qui battent la mesure en scène et n’en chantent que plus faux, et cet orchestre ondoyant et divers, toujours à la remorque des chanteurs, pressant, ralentissant les mouvemens, et par ses continuelles inadvertances appelant l’œil du spectateur sur l’instrumentation de Bellini, cette nudité qu’une main discrète devrait au contraire couvrir d’un voile ! On dirait une parodie ; la versification de ce poème a surtout des joyeusetés qui égaieraient la porte d’une prison. Quand donc est-ce que le Théâtre-Lyrique comprendra que, s’il convient d’avoir dans son répertoire certains ouvrages étrangers, encore faudrait-il que la traduction de ces ouvrages ne fût pas un défi grotesque porté à la prosodie, au goût, au sens commun ? Le public, sans se montrer bien difficile, aurait le droit d’exiger mieux. Dans un temps comme le nôtre, où, si les poètes sont rares, les versificateurs habiles courent les rues, il est indigne d’une scène que l’état subventionne d’offrir des rapsodies de cette espèce. Avec Violetta et Rigoletto, il semblait qu’on eût touché la dernière borne du possible. Cette traduction de la Sonnambula passe tout. Vous croiriez à une gageure. En tout cas, c’est une barbarie. Quelle musique résisterait à ce traitement, à ce massacre ? Nous avons vu périr ainsi les Joyeuses Commères de Windsor, œuvre charmante de Nicolaï, consacrée en Allemagne par le succès, et qu’en France la traduction a tuée. Bien en a pris à Bellini de s’être dès longtemps pourvu près du public des Italiens, d’avoir grandi et multiplié sous le patronage des Malibran, des Rubini, des Tamburini, car, s’il fallait juger de la Sonnambula par l’exemplaire de la place du Châtelet, le procès serait vite fait. Quelle idée de Bellini doivent emporter de ces soirées les générations nouvelles ? Les œuvres du génie mériteraient, ce semble, plus d’égards. On aimerait à se figurer un poète appliquant son art à cette besogne et la mise en scène répondant au caractère simple à la fois et distingué de la traduction ; une distribution de choix, la fleur du panier : Mme Carvalho pour Amina, M. Faure pour le seigneur comte, pour Elvino M. Capoul. A défaut de l’original, on aurait du moins une copie honnête d’où la niaiserie et les contre-sens seraient exclus, un poème dans le goût de la musique, le style en français de l’Aminta du ’Tasse par exemple.

L’Opéra-Comique vient de reprendre l’Étoile du Nord. Meyerbeer avait écrit Vielka pour Jenny Lind et surtout pour le roi de Prusse ; il composa pour la France l’Étoile du Nord. S’il me fallait une preuve de plus de la