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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.

lui imposait. Il ne l’avait jamais vu arriver vers lui que dans des circonstances graves et souvent violentes, armé des censures ecclésiastiques, des menaces et presque de l’anathème, réclamant tantôt pour l’église, tantôt pour le peuple, tantôt contre les corruptions et les injustices de la cour, et chaque fois Arcadius avait cédé. On savait en outre que, si Chrysostome était le patron des classes populaires dans les agitations de la ville, il en était aussi l’idole. Avec moins d’emportement dans le caractère et moins de désir de montrer sa force, cet homme eût été le maître de l’empereur, ou du moins il eût balancé près de lui le crédit de l’impératrice. Celle-ci le comprit de bonne heure, et, avec l’instinct féminin de la domination, de bonne heure aussi elle chercha le moyen de ruiner l’homme pour mieux combattre le prêtre. Profitant de l’absence de Chrysostome, qu’on ne voyait jamais à la cour et qui d’ailleurs ne prêtait que trop le flanc à la critique par l’âpreté de son humeur et par des manières ou des habitudes de vivre assez étranges, elle l’attaquait journellement près de l’empereur, employant à tour de rôle le ridicule, la diffamation, la calomnie, et ces odieuses manœuvres n’étaient pas sans effet sur un esprit débile, dont toute l’indépendance consistait à changer de joug. L’exemple de la souveraine devint la loi des courtisans. Quiconque voulut plaire, entrer dans l’intimité d’Eudoxie, obtenir par elle justice ou faveur, dut se faire l’écho des haines et des railleries contre Chrysostome. En un mot, une ligue se forma au palais impérial contre l’archevêque, et l’impératrice en fut le centre.

Au-dessous de l’impératrice, le premier rang dans cette ligue diabolique appartint à trois femmes, ses intimes amies, qui durent à leurs méfaits le triste honneur d’occuper une place dans l’histoire. Elles se nommaient Marsa, Castricia et Eugraphia, et outre leur perversité commune elles se rapprochaient par plus d’un trait de ressemblance. Toutes trois étaient veuves ; toutes trois, après s’être montrées fort galantes dans leur jeunesse, s’obstinaient à l’être toujours ; toutes trois enfin possédaient un immense patrimoine, qu’elles accroissaient incessamment par des rapines sous le patronage de leur maîtresse. Leurs noms seuls jetaient l’épouvante dans les familles. Eudoxie en effet, cumulait, comme je l’ai dit, la soif de l’or avec celle du plaisir. Les historiens nous la montrent insatiable dans sa passion d’amasser, dépouillant les faibles, forçant la main aux officiers du fisc pour avoir une part dans les confiscations et provoquant elle-même des procès criminels pour grossir son lot. Une maison, une terre lui plaisaient-elles, on les voyait passer bientôt dans ses mains, tant ses agens avaient d’habileté et de scélératesse. À ce sujet, l’on parla beaucoup d’une vigne dont