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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.

de ce nombre, car, ainsi qu’on le verra bientôt, la sévérité de l’archevêque n’était guère du goût de son clergé), tout prêtre interdit, tout diacre cassé pour ses méfaits, toute diaconesse licenciée pour ses galanteries ou sa mondanité, accouraient aussitôt chez Eugraphie y grossir par leurs propos le noyau des calomnies et des haines. Deux diacres s’y firent remarquer entre tous par l’impudence de leurs attaques, l’un, adultère convaincu, avait été expulsé à ce titre, et l’autre renvoyé pour homicide : il avait battu un enfant qui lui servait de domestique jusqu’à le laisser mort sur la place. C’est dans leurs conciliabules que se fabriquaient les machinations dirigées contre l’archevêque, là que s’essayaient à son sujet les facéties cruelles, les mensonges, les perfidies : rien ne trouvait grâce devant ce tribunal ennemi, ni le costume de Chrysostome, ni sa maigreur et sa petite taille, ni ses mœurs. On l’accusait de dépouiller l’église à son profit, de rester seul à seul avec des femmes en écartant les témoins et de faire durant la nuit des orgies de cyclope, d’avoir commis des actes de violence, des sacriléges, etc. Nous parlerons plus tard de ces impostures odieuses, qui, habilement propagées, devinrent autant de sujets d’incrimination devant un concile. Pour le moment, je me bornerai à dire ce que c’étaient que ces repas nocturnes qu’on qualifiait si grotesquement d’orgies de cyclope, et qui firent tant de bruit lors de son procès.

Le jeune Chrysostome, au sortir des bancs de l’école, s’était vu saisi d’une indomptable passion pour la vie du désert. Réfugié dans une grotte du mont Casius, à peu de distance d’Antioche, il y avait mené l’existence la plus isolée et la plus sauvage, passant les nuits debout pour dompter le sommeil et jeûnant jusqu’à l’anéantissement complet de ses forces. Ces folles austérités dans une caverne humide avaient détruit sa santé ; il y avait gagné une sorte de paralysie des parties inférieures du corps et l’impossibilité de digérer. Son estomac délabré ne souffrait plus que certaines espèces de viandes en minime quantité, et rentré dans les villes il avait dû renoncer à la vie commune ainsi qu’aux habitudes du monde. Si l’on joint à cette infirmité son humeur chagrine qui lui faisait aimer la solitude, on comprendra comment à son arrivée dans Constantinople il fut un sujet d’étonnement pour un clergé mondain et pour une société débauchée qui passait une partie de la journée à table, et où le bon ton voulait qu’on se montrât ivre dès le matin. Le prédécesseur de Jean d’Antioche, Nectaire, ancien préfet de la ville, avait vécu en homme du monde, sans cesser d’être pour cela un bon évêque et un prêtre respectable ; mais le goût et la santé de Chrysostome ne lui permettaient pas d’en faire autant. Il déclara donc dès son début qu’il ne mangerait chez personne et n’in-