Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 70.djvu/318

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
314
REVUE DES DEUX MONDES.


voisines, ébranlant l’air de ses cris de bienvenue. Il gagna l’évêché sous l’escorte de ces masses fidèles ou plutôt enlevé sur leurs bras. Arrivé à la porte de sa demeure, il les congédia, remettant au lendemain à cause de sa grande fatigue les remercîmens qu’il voulait leur adresser et il leur donna rendez-vous dans sa basilique. Le lendemain, comme on le pense bien, l’assistance se trouva au complet. Chrysostome parla, et nous avons encore son discours, discours plein d’ardeur et d’onction où respire la joie du prêtre qui revoit son église, qui remet le pied dans la patrie de son cœur, qui retrouve au retour son fidèle troupeau tel qu’il l’avait laissé au départ ; mais il ne dissimule rien. Loin de jeter un voile sur ce qui s’est passé en son absence, sur les noires trahisons de gens qu’il ne nomme pas, il part de là pour remercier ce peuple qui s’est refusé à leurs provocations coupables. « Je vous rends grâce, dit-il à la foule qui se pressait sous sa chaire, je vous rends grâce de m’avoir montré, en dépit des tentations dont vous étiez assiégés, une fidélité à l’épreuve de tout. Vous avez été la chaste épouse qui ferme l’oreille aux propos adultères pendant l’éloignement de l’époux ; vous avez été le chien vigilant qui garde le troupeau en l’absence du berger ; vous avez été les nautoniers qui conduisent le vaisseau déserté par le pilote, les soldats qui, privés de général, ne laissent pas de remporter la victoire. »

C’est là le fond du discours, l’allusion y est palpitante ; l’évêque offensé veut qu’on sache qu’il connaît et juge Sévérien, qu’il connaît aussi les menées de la cour, mais qu’aucune crainte ne trouble son âme vis-à-vis de son ingrat ami. Ses paroles, en le relevant de ses pouvoirs, furent marquées au coin d’une juste rigueur. Il lui reprocha sa vie mondaine, ses fréquentations au palais impérial et les festins après lesquels il semblait courir par opposition aux habitudes austères dont lui-même, Chrysostome, avait fait la règle de son évêché. « Antiochus et toi, lui dit-il, vous menez la vie de parasites et de flatteurs ; vous êtes devenus la fable de la ville, et c’est vous que la comédie joue sur les théâtres. » Quelques jours après, choisissant pour texte de son sermon un verset du livre des Rois, il s’écriait du haut de la chaire : « Rassemblez autour de moi ces prêtres du déshonneur qui mangent à la table de Jézabel, afin que je leur dise, comme autrefois Élie : « Jusqu’à quand clocherez-vous des deux pieds ? Si Baal est dieu, marchez derrière lui. Si la table de Jézabel est aussi un dieu, mangez-y, mangez-y jusqu’au vomissement. » Ces paroles causèrent une violente rumeur au palais.

Une aventure qui troubla Constantinople pendant quelques jours fournit matière à de nouvelles déclamations contre lui. Ceci regardait les ariens et leurs coreligionnaires et patrons les géné-