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vocations aux catholiques, et d’outrages à leur foi : « Où sont, chantaient les ariens, ceux qui croient que trois ne font qu’un ? »

À son retour, Chrysostome, indigné, réclama des magistrats la répression de ces insultes, et comme le préfet de la ville ne prenait aucune mesure efficace, il organisa lui-même une contre-litanie, où des processions catholiques se mirent aussi à parcourir les rues et les places le samedi et le dimanche, opposant les hymnes aux hymnes et la profession de foi orthodoxe aux blasphèmes de l’hérésie. Ces processions ayant lieu le soir et se prolongeant fort tard, les catholiques portaient pour s’éclairer de grandes croix d’argent garnies de cierges qui faisaient, disent les contemporains, comme un second jour dans la nuit. Eudoxie, restée bonne catholique malgré les tendances ariennes de la cour, avait voulu faire les frais de ce luminaire et envoyait ses serviteurs figurer à la contre-litanie. Ce qu’il était aisé de prévoir arriva, les processions se rencontrant, se battirent : pierres et bâtons firent leur jeu et plusieurs morts ou blessés restèrent sur la place, entre autres Brison, le principal eunuque de l’impératrice, qui reçut une pierre à la tête. Arcadius finit par où il aurait dû commencer : un décret impérial que nous lisons au code Théodosien interdit ces réunions, menaçant le préfet de la ville d’une amende de cent livres d’or, si les litanies venaient à se renouveler. Toutefois beaucoup de gens récriminèrent afin de jeter la responsabilité des désordres sur Chrysostome, qui toujours, disait-on, qu’il fît le bien ou le mal, traînait la guerre après lui.

Cependant les rapports s’envenimaient chaque jour entre Chrysostome et son ancien subrogé, devenu son rival. Gonflé d’espérances et de prétentions, celui-ci affectait dans une église où il était étranger l’attitude d’un archevêque légitime qui attend de moment en moment la déposition de l’intrus. Une crise était imminente. Elle arriva par l’inconvenance d’un de ces dangereux amis que Jean Chrysostome avait à ses côtés et qui semblaient d’accord avec ses ennemis pour l’environner d’orages. Un jour que Sévérien traversait la tête haute, dans son faste et son arrogance habituels, la basilique ou l’un des lieux y attenans, Sérapion, qui était assis sur son passage ne se leva point, comme devait le faire un diacre par honneur pour un évêque, mais resta sur son siége, le regardant d’un air dédaigneux. Sévérien en fut offensé, et, s’approchant du diacre, il lui dit de manière à être entendu d’une partie des gens qui se trouvaient là : « Si Sérapion meurt chrétien, le Christ ne s’est pas fait homme, » et il continua son chemin.

Sérapion sans désemparer fit appel à quelques-uns des témoins de la scène, lesquels, selon toute apparence, appartenaient à l’église,