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PROSPER RANDOCE.


sentait perdu d’honneur ; il ne lui restait plus qu’à se brûler la cervelle.

Pendant que Prosper lui contait ses douleurs, Didier faisait à part lui la réflexion que se laisser entretenir par une femme et en entretenir une autre avec l’argent mignon de la première n’est pas un cas fort net, ni le plus fier rôle qui se puisse jouer sur la îcène du monde : mais Didier connaissait trop la vie pour ne pas savoir qu’on a vu d’assez jolis garçons se tirer gaillardement de cette situation douteuse, et qu’après la rupture ils n’ont pas même pris la peine de laver leurs mains et de nettoyer leurs souvenirs. Il y a des consciences qui à chaque renouveau font maison neuve ; ne leur parlez de rien, elles n’y étaient pas. Du moins Prosper avait des remords ; c’était une bonne note en sa faveur. Didier le voyait si désespéré, et son chagrin paraissait si vrai, si sincère, qu’il n"eut pas le courage de lui rien reprocher ; il se contenta de le regarder en silence ; ce regard était éloquent. — Pourquoi ne me dites-vous pas tout franchement, lui demanda-t-il enfin, que vous êtes venu me prier de vous avancer cette somme ? Ne vous brûlez pas la cervelle : vous aurez vos cinquante mille francs.

Les joues de Prosper se couvrirent d’une vive rougeur ; ses lèvres tremblèrent. Il avait l’air d’un homme qui revient à la vie. — Je ne vous remercie pas, dit-il d"une voix sourde. À celui qui me tire d’un abime je ne promets pas ma reconnaissance, mais je lui dis : Je vous appartiens ; faites de moi ce qu’il vous plaira.

— Je ne vous en demande pas tant, reprit Didier. Je désire seulement qu’en fait de folies vous vous en teniez désormais à celles dont on ne rougit point. Mon amitié forme le vœu bien sincère qu’à l’avenir votre vie soit digne de votre talent.

— Vous ne pourriez rien me dire, répondit-il, que je ne me sois dit cent fois ; mais ces cinquante mille francs, comment vous les rendrai-je ?

— Vous me les rembourserez, si possible, sur vos droits d’auteur.

— Merci ! s’écria Prosper. Vous croyez en moi, vous croyez en mon avenir. Vous avez raison. Un jour vous serez fier d’avoir cru.

— Et d’avoir joint les œuvres à la foi, fit Didier en souriant.

Mais Prosper ne sourit pas ; il se mit à lui démontrer avec une véhémente éloquence que le Fils de Faust irait aux nues, ferait recette, que le public était las de féeries, de machines, de trucs et de ficelles, et que dans l’état des choses un grand succès littéraire ne pouvait manquer d’être un succès d’argent. La gloire et l’or, l’or et la gloire, tout viendrait à la fois. — Mais j’ai autre chose à vous dire, ajouta-t-il. Vous m’avez proposé d’aller passer quelque temps chez vous pour y travailler. J’accepte, mon cher. Je veux