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Une pareille idée était bien de nature à frapper un esprit tel que celui du général Bonaparte. On connaît les travaux qu’il fit entreprendre par la commission scientifique de l’expédition d’Égypte, travaux contrariés et enfin interrompus par les vicissitudes de la guerre.

Plus récemment, il y a de cela vingt ans à peine, le monde savant reprenait cette idée ; une commission internationale, composée d’habiles ingénieurs, se livra sur les lieux mêmes à de sérieuses études. Un premier point, jusque-là douteux, fut d’abord démontré : l’égalité de niveau entre les deux mers. Quelques-uns des membres de la commission regardaient l’exécution du canal comme non réalisable. La plupart, en raison des difficultés que présenterait la création d’un port sur les rives du golfe de Péluse, conclurent à des tracés indirects traversant le delta et venant aboutir vers Alexandrie. La société finit par se séparer sans avoir adopté définitivement aucun projet.

Ce fut quelques années plus tard que M. Ferdinand de Lesseps, ancien consul-général à Alexandrie, libre alors de se consacrer sans partage à l’idée qu’il nourrissait depuis longtemps, accourut en Égypte auprès de Saïd-pacha, à qui il était uni par les liens d’une ancienne amitié. Il dut, de concert avec les ingénieurs qui lui prêtaient leur concours, s’écarter des plans de ses devanciers, le vice-roi n’admettant pas l’exécution d’un canal qui eût séparé en deux parties les provinces de la Basse-Égypte ; le tracé direct fut donc seul étudié. Cinq ans après, un firman du pacha avait autorisé les travaux ; des ingénieurs avaient déterminé le tracé du canal et les conditions pratiques de l’entreprise ; une société s’était constituée, qui avait trouvé des actionnaires dans toutes les parties du monde, enfin les premiers campemens de travailleurs étaient venus s’installer dans le désert. Nous ferons plus loin l’historique des vicissitudes et des phases par lesquelles a dû passer l’entreprise depuis dix ans pour arriver de l’état de germe aux vastes développemens qui aujourd’hui frappent nos yeux. Notre tâche est, pour le moment, de décrire les travaux, les moyens d’exécution mis en œuvre, d’examiner l’importance relative des résultats déjà obtenus et de ceux qui restent à atteindre. Une courte esquisse des terrains traversés par le canal maritime est d’abord indispensable.

L’isthme de Suez est, sur sa plus grande étendue, formé de plaines dont le niveau moyen est celui de la mer. C’est d’abord, en partant de la Méditerranée, derrière une langue de sable qui forme le rivage du golfe de Péluse, une immense étendue de lagunes salées de 200 kilomètres de tour, portant le nom de lacs Menzalèh. Le débouché du canal sur cette côte sans abri et sans profondeur, où il fallait improviser un port, a été choisi en un point,