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« qu’il est l’être sans rien ajouter, » il ne dit rien de plus ni de moins que Spinoza. J’ajoute enfin que dans la Trinité chrétienne elle-même, le Père, considéré en soi, n’est autre chose que la substance, la source ineffable et indéfinissable de toute vie et de toute perfection.

La substance, dans la philosophie de Spinoza, est si bien la plus haute réalité, la plus haute perfection possible, que toutes les choses sont plus ou moins parfaites selon qu’elles se rattachent de plus ou moins près à la substance. Ainsi les attributs sont plus parfaits que les modes, et parmi les modes ceux-là sont plus parfaits qui sont le plus proche des attributs ; par exemple, les âmes sont d’autant plus parfaites qu’elles se rattachent plus étroitement à Dieu.

Les mêmes conséquences sortent de la considération des attributs divins. Parmi ces attributs, Spinoza n’en cite que deux, l’étendue et la pensée, et de ce qu’il fait Dieu étendu, on en conclut qu’il le fait corporel ; Spinoza a prévenu cette objection, et il y répond très fortement. Il nie expressément que Dieu soit corporel, c’est-à-dire limité et divisible, circonscrit dans certaines parties de l’espace ; ce qu’il attribue à Dieu, c’est ce qu’il y a d’effectif, d’essentiel, de parfait dans l’étendue : c’est l’étendue, dans son idée, sans limitation et sans restriction. N’oublions pas les données d’où il est parti. D’une part il admet, avec toute l’école cartésienne, que l’étendue est une réalité, et même la réalité essentielle des corps ; de l’autre il admet, encore avec les mêmes cartésiens, que toute réalité est une perfection, et que toute perfection doit avoir sa racine en Dieu. Il doit donc y avoir en Dieu une étendue idéale, essentielle, absolue, comme il y a une pensée absolue. Il est impossible au cartésianisme, je dirai plus, à toute philosophie qui admet la réalité de l’étendue, de nier cette conséquence. Malebranche lui-même admet en Dieu une étendue intelligible, principe et type originel de l’étendue réelle. Or Malebranche, pressé par le mathématicien Mairan, n’a jamais pu déterminer en quoi sa théorie se distingue sur ce point de celle de Spinoza. Ce qui est certain, c’est que pour l’un et l’autre Dieu n’est pas étendu à la manière des corps, c’est-à-dire limité, divisé et figuré, et en second lieu que l’étendue est un Dieu d’une certaine manière. A la vérité, Malebranche n’aurait pas admis que l’étendue intelligible est un attribut divin ; mais ici Spinoza a pour autorité un autre philosophe non moins respectable que Malebranche : c’est Newton, qui dit expressément que « Dieu constitue l’espace, Deus constituit spatium. »

Si de l’étendue nous passons à la pensée, nous verrons se dessiner plus nettement encore la différence du spinozisme et du naturalisme contemporain. C’est en effet une des tendances évidentes de ce naturalisme de chercher à expliquer la pensée par