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Robert Burns, Byron, les uns et les autres se détachant sur un fond continu et animé. J’ajouterai que ce qui fait la nouveauté réelle et l’intérêt sérieux d’un tel livre, c’est que l’auteur, écartant les données d’une érudition banale, va droit aux sources, saisissant par lui-même la pensée anglaise dans sa formation, dans ses métamorphoses, dans ses manifestations spontanées et originales. Il s’est livré à une étude directe sur le vif de cette civilisation étrange et puissante. Il en résulte une série de chapitres quelquefois inégaux et confus, d’autres fois pleins de mouvement et de richesse comme les chapitres sur Spenser, sur Shakspeare et ses contemporains, sur Robert Burns. Il y a seulement une lacune dans ce livre, et elle serait moins sensible, si l’auteur était vraiment l’historien d’une littérature au lieu d’avoir l’ambition d’être l’historien d’une race, d’une civilisation. M. Taine oublie ce mot un peu bizarre, que « l’Anglais est un animal politique, » ou du moins tout ce qui est politique se noie dans la profusion des analyses. La politique a un plus grand rôle en Angleterre, et un Chatam est certes un personnage qui fait une figure dans la civilisation britannique. En fin de compte, c’est là le vrai cadre où le talent de M. Taine se déploie à l’aise, et l’Histoire de la littérature anglaise reste une des œuvres les plus sérieuses du moment présent.

Pourquoi donc M. Taine, qui semble fait pour ce genre d’études historiques et littéraires, qui s’y complaît et y apporte du moins une certaine ampleur, pourquoi M. Taine a-t-il eu l’idée singulière de faire des excursions dans le domaine léger ? Ce n’est pas que la légèreté, la vraie légèreté de l’esprit et de l’imagination, n’ait son prix ; elle est même un des dons les plus rares. M. Taine avait tout près de lui un petit modèle de cette légèreté fine et gracieuse : c’est tout simplement ce petit livre qu’on appelle Monsieur, Madame et Bébé, de M. Gustave Droz. Avec rien, avec une scène d’intérieur ou de société, avec un ridicule de mœurs, avec deux jeunes mariés ou une blonde tête d’enfant, il a fait une série d’esquisses où l’observation court sans appuyer, légère, pénétrante, humaine, railleuse sans amertume, précise sans vulgarité, enfin une œuvre aimable, et fine. M. Taine, lui, ne donne pas des ailes à la fantaisie ; il appuie, et il fait ce livre de la Vie et opinions de M. Frédéric-Thomas Graindorge, qui est un modèle de gaîté lourde et de frivolité laborieuse. C’est bien la peine d’être un homme de talent et d’esprit pour se livrer à ces amusemens à bras tendu ; en lisant ces pages, je songeais involontairement aux plaisanteries de M, Taine sur M. Cousin, qui, au dire du goguenard critique, forçait son talent en écrivant la biographie de Mme de Longueville, qui paraissait heureux de n’avoir à soulever que des poids de deux cents livres. C’est