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lançant sans le moindre embarras dans la mêlée des mots techniques. Il en résulte, comme on pense, pour la moyenne des lecteurs, une certaine obscurité toujours fâcheuse et regrettable. Si quelques-uns admirent sur parole ce qui leur semble obscur, combien s’en blessent et s’en irritent, ne pardonnant pas qu’on leur inflige la fatigue de chercher leur chemin ! Ici pourtant l’obscurité est presque toujours transparente. L’auteur aurait mieux fait de ne pas troubler son lecteur par tous ces mots énigmatiques sans en donner la clé ; mais, pour peu qu’on en prenne la peine, on n’en saisit pas moins nettement sa pensée. Ce n’est pas sa faute si son sujet le force à marcher quelquefois à tâtons. Lui-même en explique la cause par une observation d’une rare sagacité. Tous ces textes, dit-il, qui seuls servent de base aux hypothèses, quelles qu’elles soient ; relatives à la musique grecque, ne sont pas seulement mutilés, incomplets, ils sont d’époques différentes. Or que fait-on depuis trois siècles ? On complète les uns par les autres, on emprunte à ceux-ci ce qui manque à ceux-là, sans tenir compte et des années qui les séparent et des changemens considérables que l’art musical a subis dans ce long intervalle. Dès lors quelle bigarrure et quelle incohérence ! Plutarque, Aristide, Quintilien, Ptolémée, Nicomaque, tous postérieurs à l’ère chrétienne, appelés à compléter, à commenter, à suppléer Aristote, Platon, Aristoxène et autres coryphées du grand siècle, est-ce un moyen sérieux de servir la science ? Ne vaudrait-il pas mieux se résigner à des lacunes que d’essayer de les combler ainsi ? L’auteur le reconnaît de bonne grâce. — On ne peut que glaner, dit-il, parmi ces fragmens si divers. Prétendre les coordonner, c’est folie. il faut saisir quelques données premières, quelques points d’une évidence incontestable et en tirer les conséquences bien plus par déduction logique qu’en vertu de témoignages écrits. — Nous admettons ce pis aller, mais par la même, on doit en convenir, l’auteur confesse clairement l’insoluble difficulté de sa propre tentative.

S’ensuit-il que son œuvre soit oiseuse et stérile, et qu’il eût fait plus sagement de choisir un autre sujet ? Non ; dans la mesure qu’il sait garder, au point de vue où il se place, on peut sans le flatter lui donner l’assurance que sa peine n’est pas perdue. Il ne tente pas l’impossible : ce qui le sauve, c’est de n’être qu’amateur car en cette matière les plus savans sont les plus exposés. Le vrai danger est de trop prendre au sérieux ces sortes de recherches, de vouloir avec quelques lambeaux de textes didactiques recomposer, ressusciter un art à jamais éteint ; c’est un genre d’ambition que n’a pas notre auteur. Il sait que, trouvât-on par miracle dans quelque palimpseste un traité de musique grecque, même complet et de la meilleure époque, il ne faudrait pas encore crier victoire : ce ne serait qu’une demi-conquête, une satisfaction d’esprit, pas autre chose. Nous aurions une idée plus nette des conditions théoriques de cet art tant admiré ; mais quant à l’art lui-même, n’en