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Enfin ils arrivèrent en vue d’une petite combe qui débouche sur la rive droite de l’Aygues. Le village de Saint-May occupe l’entrée de cette gorge ; il est perché sur une butte flanquée de courtines et de bastions naturels, précédée d’un rocher arrondi qui s’élève majestueusement en forme de tour, et dont la rivière baigne le pied. Rien de plus romantique que ce colossal donjon et que ce village environné de précipices. C’est un site digne de l’Arioste ; quelque château d’Alcine a dû s’élever jadis sur cet emplacement, et l’on ne serait pas surpris de voir apparaître au bas du sentier en limaçon qui rampe autour du rocher un écuyer bardé de fer, lequel, sonnant de la trompe, s’en viendrait proposer aux passans quelque hasardeuse prouesse ou la délivrance d’une princesse enchantée. Un pont de pierre fait communiquer la route de Nyons avec le sentier qui monte au village. Près de ce pont se trouve une hôtellerie qui n’a point l’air d’un palais, et en face de l’auberge, de l’autre côté du chemin, une fontaine ornée de cette inscription : Siste, bibe, vale et redi.

— Mon cher, je crois que vous voilà au gîte, dit Prosper en apercevant les premières maisons de Saint-May. Quant à moi, comme je me ferais une conscience de m’imposer à personne et de gêner votre liberté, mon intention est de pousser jusqu’à Rémuzat. C’est là qu’un muletier doit m’apporter ce soir mon bagage et venir prendre ce cheval pour le remmener à Nyons. Agissez comme vous l’entendrez ; vous êtes meilleur juge que moi de la situation. Si M. Lermine vous paraît bien disposé à mon endroit, veuillez m’en aviser dès demain ; sinon je retournerai à Paris par le plus court.

Au moment ae leur arrivée, M. Lermine était devant la porte de l’auberge, causant avec quelqu’un. Quand il vit paraître Didier, il leva les bras au ciel et s’écria : Ad nos, ad salutarem undam ! mais en reconnaissant son acolyte il fronça le sourcil. Prosper se hâta de faire un signe d’adieu à son frère, salua profondément M. Lermine, et, piquant des deux, s’éloigna au galop dans la direction de Rémuzat.

XVIII.

M. Lermine commença par conduire son hôte dans la chambre qu’il lui avait fait préparer. Ils se retrouvèrent au bout de quelques instans près de la fontaine, et il fallut que Didier goûtât de l’eau merveilleuse. Il ne se fit pas prier pour la trouver excellente, et ce ne fut que justice, car cette eau n’a pas sa pareille pour la légèreté et la saveur, sans compter qu’elle fleure la violette comme la fameuse fontaine de Trevi.

Ils allèrent ensuite se promener jusqu’au village, et chemin fai-