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non pas tous cependant, comme en font foi tant de légendes et tant de superstitions encore populaires aujourd’hui ; mais en Orient l’église, plus préoccupée de discussions métaphysiques ou mystiques que du gouvernement des consciences, fit une guerre moins heureuse au paganisme, et lorsque la chute de l’empire byzantin l’eut complètement désarmée, les vieilles racines païennes se mirent de tous côtés à refleurir.


III. — LES MOEURS.

Tous les chants grecs ne sont point le produit de la même inspiration et ne sont pas tous nés sur le même sol. M. de Marcellus l’avait déjà remarqué ; il avait distingué avec raison les « œuvres d’art » des chansons moins correctes, mais improvisées par les véritables poètes du peuple ; il avait également bien compris que la montagne, la plaine et la plage n’avaient pu inspirer les mêmes accens, et qu’il serait nécessaire de remonter à l’origine de chaque chant pour savoir de quelle classe d’Hellènes il peint les mœurs et représente les sentimens. En effet, quelle distance ne sépare pas le klephte de l’Olympe des Phanariotes de Stamboul ! A Constantinople, tout en subissant le joug d’un maître, l’Hellène a constamment conservé les traditions de la culture antique, traditions qui ont brillé plus longtemps qu’on ne le croit généralement. Même au IXe siècle, — M. Renan l’atteste, — l’Occident n’aurait pu trouver un seul lettré qui pût être mis sur la même ligne que le patriarche Photius. Sans doute le despotisme des autocrates byzantins et la folle manie des discussions théologiques finirent par obscurcir l’intelligence de la nation, sans doute la conquête étrangère acheva la décadence littéraire ; mais, même dans les temps les plus difficiles, les esprits restèrent si peu étrangers à la vie intellectuelle[1], qu’il serait difficile de trouver dans les productions écloses sur ce sol la spontanéité et l’originalité qu’on admire avec raison dans les chants klephtiques. Le marin de son côté ne se soustrait pas aussi bien que le montagnard à l’influence des idées du dehors. Si peu lettré qu’il soit, il est constamment en contact avec les mœurs et les idées des autres peuples ; plus encore que l’homme de la plaine, il se trouve, du moins momentanément, dans une atmosphère où les passions fermentent, où les intérêts s’agitent, où les idées se produisent, où le passé et le présent se livrent un perpétuel combat.

  1. V. A. Pappadopoulos Vrétos. Littérature de la Grèce moderne, ou Catalogue raisonné des ouvrages publiés par les Grecs depuis la chute de Constantinople jusqu’à la fondation du royaume hellénique, 2 vol. in-8o. Athènes 1854-57.