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imposer la culture germanique aux Magyars ; de même ceux-ci,.dans l’élan qui les emporte, voudraient obliger les Allemands et les Slaves du royaume à se transformer en Hongrois. Naguère la langue magyare n’était rien ; maintenant qu’elle est remise en honneur, on voit avec impatience qu’elle n’ait point encore étouffé tous les idiomes rivaux. Ce droit de la race, ce droit du foyer natal, qu’on a tant réclamé, qu’on réclame encore avec tant d’énergie, on le refuse insolemment au voisin. Étrange aveuglement de la passion ! égoïsme incorrigible ! avant même d’avoir triomphé, dès le premier réveil de la vie, au premier espoir de succès, le Magyar prétend faire peser sur les populations slaves, allemandes, roumaines, du royaume de Hongrie, la même oppression que la Hongrie avait dû subir sous la main de l’Autriche. L’esprit niveleur de la démocratie formait ici la plus singulière alliance avec les prétentions hautaines des Magyars. Nivellement démocratique et privilège d’une race altière, ces choses répugnaient également au sens droit du comte Széchenyi. Il devinait déjà les clameurs que provoquerait bientôt la victoire des Hongrois ; il prévoyait les colères, les justes colères des Tchèques, des Croates, et s’efforçait de prémunir ses compatriotes contre les mauvais conseils de l’orgueil. C’est là un des plus curieux épisodes de sa carrière. Il y a autant d’élévation morale que de sagacité politique dans les paroles que ses appréhensions lui inspirent.


« Ah ! s’écrie-t-il, le sentiment national qui fait notre force est un trésor, mais un trésor redoutable ; à quel moyen recourir pour communiquer ce sentiment aux peuples divers établis sur le soi hongrois ? Imposer notre langue, c’est provoquer la révolte. Il n’y a que notre supériorité intellectuelle qui puisse attacher ces peuples à la nationalité hongroise… Développons nos vertus personnelles, accroissons nos qualités morales ; notre salut est là et nulle part ailleurs. C’est à l’individu à préparer le triomphe de la nation. Comment une nation possède-t-elle ces forces, ces vertus nécessaires à son action politique ? Quand le plus grand nombre des individus qui la composent accomplit sa tâche humainement et honorablement. Il faut surtout acquérir le don de plaire, la faculté d’attirer, d’absorber les élémens voisins. Croit-il posséder cette faculté, celui, qui, au lieu d’éveiller les sympathies, n’agit que sur l’extérieur, et, parce qu’il contraint les autres à employer la langue magyare, parce qu’il les affuble du costume hongrois, parce qu’il fait flotter partout nos couleurs nationales, s’imagine avoir conquis du même coup les cœurs et les esprits ? Croit-il la posséder, celui qui ne respecte pas chez autrui ce qu’il veut voir respecté chez lui-même ? C’est un grand art que de savoir gagner les cœurs ; en a-t-il seulement le soupçon, celui qui en face d’un