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de l’Afghanistan, et réveilla toutes les inquiétudes de la cour de Kaboul. Lors de l’insurrection des cipayes, la compagnie acheta la neutralité de Dost-Mohammed au prix d’un lac de roupies par mois (trois millions par an), et jamais argent ne fut si bien placé. Il est impossible de calculer l’effet qu’eût pu produire une diversion de l’émir tombant avec 40,000 Afghans sur Peshawer et Lahore : les désastres de cette fatale année se seraient accrus dans une effrayante proportion ; mais le triomphe définitif de l’Angleterre, est-il besoin de le dire ? n’en eût été que retardé. Je pense que le vieil émir, qui était fort intelligent, en fut également convaincu, et que sa perspicacité se trouva d’accord avec son avidité. Il mourut en 1863, laissant le trône à l’un de ses fils, Chir-Ali-Khan, au détriment de l’aîné, Afzal-Khan. Une conséquence de la polygamie dans les familles régnantes d’Orient, c’est qu’un souverain meurt laissant d’ordinaire beaucoup d’enfans nés de mères différentes et qui se haïssent avec fureur ; la succession se liquide par la guerre civile. Pour parer à ce grave inconvénient, les Turcs, peuple froid et positif, avaient adopté un usage atroce qui n’a été aboli que par Abdul-Medjid. Chaque nouveau sultan inaugurait son règne par le massacre de tous ses frères. On se souvient qu’Amurat IV, qui en avait quatre-vingts, les fit égorger tous en moins d’une heure. Le Kaboul, où pareille coutume ne s’est point établie, est pour cette raison plongé depuis quatre ans dans la plus violente anarchie. Chir-Ali avait emprisonné son frère aîné pour l’empêcher de conspirer. Un autre frère, Azim-Khan, se sauva dans l’Inde et essaya d’intéresser à sa cause le gouvernement anglo-indien. Celui-ci ayant sagement décliné toute intervention dans les affaires afghanes, Azim repassa la frontière, visita les tribus montagnardes, les souleva contre Chir-Ali, fut rejoint par Abderhaman-Khan, fils du prince captif, et marcha vers Kaboul. Une bataille eut lieu à Seyedabad, près Ghizni. Chir-Ali la perdit, ne songea même pas à disputer sa capitale aux vainqueurs et se sauva à Kandahar, où il se mit en état de continuer la lutte. Les émirs coalisés entrèrent sans obstacle au Bala-hissar, qui est la bastille de Kaboul, et dont la possession est le gage du pouvoir souverain. Afzal-Khan, délivré de ses fers et proclamé sultan, s’associa Azim, qui se rappela ses griefs contre les Anglais et réussit à faire partager ses rancunes à son collègue. Tous deux réunis poussèrent sournoisement les tribus de la frontière, les Swatis et les Waziris, à harceler la province de l’Indus ; mais les montagnards, qui venaient d’être rudement châtiés, se montrèrent peu dociles à ces incitations haineuses.

Cependant le gouvernement anglo-indien, dans un intérêt d’humanité autant que de préservation personnelle (car la guerre civile