Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 70.djvu/680

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui a entamé la Boukharie, n’ont jamais dépassé 3,000 hommes. Je ne comprends pas dans ce chiffre les escadrons de djighiles (irréguliers kirghiz) jouant au Turkestan, dans le service russe, un rôle analogue à celui de nos goums arabes en Algérie : force très efficace contre les bandes indisciplinées des indigènes, mais qui ne tiendrait pas contre un ennemi bien armé et bien aguerri Cependant beaucoup d’esprits sérieux craignent que la Russie ne trouve en ces nouveaux domaines des ressources en hommes et en argent à ajouter à celles qu’elle possède déjà, et qui la rendent en Occident comme en Orient si justement redoutable. Ces alarmes sont-elles fondées ? Pour ce qui regarde l’Occident, ces lointaines acquisitions n’ajoutent rien aux forces offensives du tsar. Le jour où la Russie aurait conquis le Turkestan tout entier, elle se serait accrue d’un territoire équivalent à peu près, quant au chiffre de la population, à la Moldo-Valachie, et quant à la richesse, à la Moldavie seule. Certes, si au lieu des états ouzbegs c’était de la Roumanie qu’il s’agît, l’Europe aurait raison de s’inquiéter d’une annexion qui livrerait au conquérant une magnifique position militaire, le cours et les bouches du plus grand fleuve de l’Occident, et enfin une pépinière d’excellens soldats ; mais aux bords de l’Oxus que trouve-t-on de semblable ? Des provinces épuisées pour de longues années encore par d’indignes gouvernemens, éloignées du centre de l’empire, par conséquent fort dispendieuses à administrer, un territoire qui de trente à quarante ans n’indemnisera pas ses possesseurs des frais d’occupation, enfin une population paisible, passive, sans esprit militaire, et à laquelle la Russie, par une politique facile à concevoir, ne demandera de longtemps encore que des milices locales, comme ces corps de Mingrélie mobilisés en 1855 lors de l’invasion d’Omer-Pacha. Sans doute la population tartare de Kazan et d’Astrakhan, qui est dans les mêmes conditions que les Tadjicks du Turkestan, est soumise à la conscription et a fourni à l’armée russe de Crimée des hommes tout aussi solides au feu que les purs Moscovites ; mais Kazan et Astrakhan sont conquis depuis trois siècles et ont eu le temps de se discipliner. Nul doute qu’après un pareil délai la Boukharie ne puisse fournir à l’empire de bons soldats, si toutefois il existe encore un empire russe dans trois cents ans d’ici, ce dont tout le monde n’est pas sûr, même à Saint-Pétersbourg. Revenons donc sans autre souci à l’affaire du Haut-Orient envisagée au point de vue des éventualités d’un conflit entre les puissances européennes qui semblent devoir se disputer où se partager l’empire de ces régions.

La Russie et l’Angleterre sont en Asie, en face des barbares, dans une position analogue à celle que l’empire romain, sous les